mardi 28 mars 2017

CINE /// LION - GARTH DAVIS /// Un superbe film en Inde -


LION
DE GARTH DAVIS

Avec Dev Patel, Sunny Pawar, Rooney Mara, Nicole Kidman


Un film magnifique que je recommande ardemment !

A partir d'une histoire vraie extraordinaire, Garth Davis nous livre un film touchant, positif, vibrant, plein d'émotions et de réflexion.

A 5 ans, Saroo se trouve perdu à des milliers de kilomètres de chez lui, un train l'ayant mené jusqu'à Calcutta alors qu'il était endormi. Il devient l'un de ses nombreux enfants des rues que l'on trouve en Inde.

Saroo est joué par deux acteurs exceptionnels, d'abord un petit garçon aux grands yeux, au sourire irrésistible, un petit bonhomme qui est déjà un sacré battant. Il sent les choses à défaut de tout comprendre et sait prendre ses jambes à son cou. Il nous emporte totalement tant il a une présence incroyable à l'écran !

Et puis, ensuite, adulte, il est joué aussi excellemment par Dev Patel, le héros de "Slumdog Millionnaire" et nous le suivons dans sa quête d'identité. Bien qu'il aime sa famille adoptive, sa recherche pour retrouver sa famille en Inde va devenir obsessionnelle, le ronger.

Je n'en dis pas plus si ce n'est qu'un même regard profond illumine ces deux acteurs assurant ainsi la logique du personnage.

L'Inde est très bien filmée : la lumière, les paysages, les zones rurales, la mégapole et aussi la pauvreté. Très tôt, avec la scène de l'enfant au milieu des papillons, l'on sait que le cinéaste a un "œil", un "regard" et que le film sera beau, ce qu'il est pendant 2 heures.

Il ne faut pas que j'oublie Nicole Kidman, en maman adoptive, qui est remarquable, ce rôle entrant en écho avec sa vie privée puisqu'elle a elle-même adopté deux enfants.

Alors, si vous avez envie de voir une belle histoire pas banale et qu'il ne vous répugne pas de verser une petite larme (c'est humain non ?), si des thèmes tels que l'adoption vue avec le regard des adoptants et de l'adopté, la quête d'identité et la question sociétale des enfants des rues en Inde vous intéressent, alors tout comme moi vous devriez vivre un beau moment de cinéma.

Cinéphilement vôtre.

 JC Togrège
28/03/2017


lundi 27 mars 2017

CINE /// THE LOST CITY OF Z - JAMES GRAY /// La forêt amazonienne filmée de façon magistrale


THE LOST CITY OF Z
DE JAMES GRAY
 

Avec Charlie Hunnam, Sienna Miler, Tom Holland

Alors que nous devions aller voir "Lion", nous eûmes la surprise désagréable d'une panne technique à la séance que nous avions choisie. L'employé du cinéma eut certes la délicatesse de nous proposer à la place le dernier "Dany Boon", mais bon cela ne nous enthousiasma guère. L'écart était trop grand entre ce que nous nous attendions à ressentir d'un film se passant en Inde et les grosses farces du comique. Depuis son film " Bienvenue chez les Ch'tis", ses autres productions nous ont déçus.

Nous changeâmes de cinéma et avons alors opté pour un film dont nous ignorions tout "The lost city of Z" et grand bien nous fit !

Il s'agit de l'histoire d'un explorateur britannique du début du XXème siècle, Percy Harrison Fawcett, militaire et cartographe qui fut envoyé en Amazonie pour délimiter la frontière entre le Brésil et la Bolivie. Très vite, son intérêt ira bien au delà de cette tâche  car il se prendra de passion pour la jungle et sera obnubilé par la recherche d'une cité disparue.

Ce récit, c'est celui d'une passion qui l'amène  à faire passer sa famille qu'il aime profondément en second, pour se consacrer à sa quête devenue obsessionnelle  qu'il mènera de 1905 à 1925. Heureusement son épouse, très compréhensible et dotée d'une grande force de caractère, assurera la stabilité familiale en éduquant leurs enfants. Il faut dire qu'il s'agit de voyages très dangereux et physiques qui durent à chaque fois plusieurs années.

Il y a très longtemps que je n'avais pas vu la jungle aussi bien filmée, cela remonte sans doute à 1982 avec le "Fitzcarraldo" de Werner Herzog. Les images sont d'une beauté magistrale !

Qu'on ne se méprenne pas sur ce film d'aventures, c'est aux antipodes des "Aventuriers de l'arche perdue", nous sommes davantage dans un récit qui prend son temps, nous faisant le portrait d'un  grand explorateur.

Sa quête est double : Trouver cette grande cité Z prouvant une civilisation disparue et lutter contre les préjugés de la société du début du XXème siècle qui ne voyait dans les tribus amazoniennes que des sauvages.

Ce film possède un souffle lyrique qui nous captive pendant 2h20 !

Cinéphilement vôtre

JC Togrège
24/03/2017




mercredi 22 mars 2017

LIVRE /// LES ROMANS POLICIERS DE FRED VARGAS


LES ROMANS POLICIERS
DE FRED VARGAS
 

Il y a une petite musique bien personnelle dans les romans de Fred Vargas, cette romancière qui a commencé à écrire pour "contrer l'austérité scientifique du métier d'archéologue" qui était le sien.

Elle sait nous conter des histoires car il y en a toujours plusieurs dans son roman sans forcément un lien entre elles ou alors parfois avec un rapprochement auquel l'on ne s'attend pas du tout.

Ses récits sont toujours extraordinaires (sans jamais être pour autant du domaine du fantastique), plausibles,  tout en s'inscrivant dans le quotidien de notre temps.

Ses personnages nous parlent aussi car ils sont proches de nous, crédibles, avec leurs failles et leurs qualités. Le commissaire Adamsberg n'est pas un super flic, il est plutôt flâneur et se reconnaît lui même assez lent dans son raisonnement.

Au fil des titres, nous nous familiarisons avec les Evangélistes, le commandant Danglard érudit accro à la bouteille, la policière "armoire à glace" Retancourt, Veyrenc qui aime dit des vers et tous les autres.

N'oublions pas les animaux qui ont leur place dans les récits. Ce peut-être un pigeon, un sanglier qui protège sa maîtresse, sans oublier  le chat qui dort sur la photocopieuse et qui est la mascotte du commissariat.

Fred Vargas sait fait des digressions et nous raconter des anecdotes, nous raconter la vie normale, nous parler de tas d'autres choses. Et à chaque fois, ça marche  pour mieux repartir ensuite vers l'enquête.

Le tout est complété de petites touches d'humour semées par ci par là, avec subtilité.

Extrait :

Le cimetière était vide, silencieux, le roulement de la circulation lointain.Le Sécateur avait déplié sur sa sacoche une serviette propre et blanche aux angles en dentelle, sur laquelle il avait posé son pain et son couteau……..
C’est joli ce napperon, dit Louis.

Ouais

C’est fait main, on dirait.


C’est ma mère qui l’a fabriqué, grogna le Sécateur en agitant son couteau. Faut en prendre soin, très soin. C’est un protège-fils.


Un protège-fils ?

T’es sourd ? Ma mère en a fabriqué pour tous ses enfants. Faut le laver tous les dimanches et le faire sécher propre, si tu veux que ça protège. Parce que, elle disait ma mère, que si tu laves le napperon chaque dimanche, t’es bien obligé de savoir quel jour on est, et, pour ça, faut pas trop picoler. Et t’es obligé de te lever pour le faire. Et t’es obligé d’avoir de l’eau chaude et du savon. Et, pour avoir l’eau, faut un toit sur ta tête. Et le toit, faut que tu le paies. Ce qui fait que rien que pour garder le napperon propre, faut drôlement trimer, et tu pourras pas te croiser les pouces tous les jours que Dieu fait avec ton pinard, elle disait, ma mère. C’est pour ça que c’est un protège-fils. Ma mère, ajouta le Sécateur en se tapant sur le front avec le manche de son couteau, elle prévoyait tout.

Ceci eut comme conséquence que chacun de nos enfants qui quittait la maison pour s'installer eut droit à un petit napperon fait main avec le texte de Fred Vargas.


Bonne et belle lecture

JC Togrège
22/03/2017

mardi 21 mars 2017

LIVRE ET CINE /// PATIENTS DE GRAND CORPS MALADE

PATIENTS
GRAND CORPS MALADE
 



Le film est à la hauteur du livre ; de la tendresse, de l'humour, des situations difficiles, un humanisme sans apitoiement.

Et pourtant, tout comme pour le livre, le sujet de base était fort délicat, puisque s'agissant de la rééducation de personnes ayant subi de graves accidents.

Une superbe leçon de vie !

Ci-dessous la chronique que j'avais faite du livre en 2013



Cinéphilement vôtre

J-C Togrège
31/03/2021



-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Tout le monde connait plus ou moins le slameur « Grand Corps Malade », ne serait-ce que pour l’avoir vu ou entendu dans les médias. Alors coup éditorial ou vrai témoignage que ce livre « Patients » ? 

J’avais un a priori positif sur cet auteur au regard des textes qu’il écrit, lui octroyant le bénéfice de la sincérité, sentiment renforcé après son passage dans la « Grande Librairie » qui n’est pas du style à recevoir les petites gloires de la chanson ou les « people » juste pour augmenter l’audience.

 Il s’agit du récit de son passage en centre de rééducation après son accident (chute dans une piscine) qui le laissa tétraplégique. 


C’est le livre de la reconquête de l’autonomie, de la renaissance, et même d’une certaine manière de la naissance de celui qui allait devenir ensuite un artiste sous le nom de « Grand Corps Malade ».

C’est un témoignage fort où il ne parle pas que de lui ; il nous présente aussi toute une galerie de portraits de personnages attachants dont la plupart ne retrouveront que très peu ou pas d’autonomie.

La réussite de ce récit tient au fait qu’il y a mis de l’humour (alors que le sujet ne s’y prête pas !), du détachement, du second degré, qu’il a su apporter un témoignage pudique sans méli mélo et sans zone d’ombre. 
Extrait :

« En réanimation, le plafond était jaune pâle...Enfin, je pense qu’à la base il était blanc, mais il  a dû se fatiguer à force de regarder des mecs en galère, des tuyaux plein la bouche.
Je connaissais mon plafond de réa dans les moindres détails, chaque tâche, chaque écaille de peinture. Il y avait un néon masqué par une grande grille rectangulaire. La grille était composée de quatre cent quatre-vingt-quatre petits carrés. Je les ai comptés plusieurs fois pour être sûr. En réanimation, quand on est conscient, on a le temps de faire pas mal de trucs essentiels... »

Il a une formule qui revient plusieurs fois et qui prouve son humanisme « C’est jamais inintéressant de prendre une bonne claque sur ses propres idées reçues »

Voilà le témoignage d’un patient tétraplégique qui ne peut laisser indifférent et qui nous ouvre la porte sur un monde inconnu des valides. Il nous présente cet étrange univers où la vie demeure, en rapport avec son texte « 6ème sens ».

Je n’apporterai qu’un léger bémol sur le style car je m’attendais à une forme plus littéraire, en rapport avec ses talents d’écriture tels qu’ils transparaissent dans ses slams

Ci-dessous un extrait de « 6ème sens » qui est en préambule du livre :
 
« ... Alors j’ai découvert de l’intérieur un monde parallèle,
 Un monde où les gens te regardent avec gêne ou compassion,
 Ce monde-là respire le même air mais pas tout le temps avec la même facilité
 Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés.

On met du temps à accepter ce mot, c’est lui qui finit par s’imposer,
 La langue française a choisi ce terme, moi j’ai rien d’autre à proposer,
 Rappelle-toi juste que c’est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin,
 Et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est d’abord un être humain
 »
 
Bonne lecture
JC Togrège
28/01/2013



vendredi 17 mars 2017

LIVRE /// MAPUCHE DE CARYL FEREY /// Un polar coup de poing

 
MAPUCHE
DE CARYL FEREY


Lors d'une émission récente de "La Grande Librairie", j'avais trouvé très intéressante et hors norme l'intervention de Caryl Férey, auteur décalé se définissant comme un punk rock, quelqu'un d'énervé. Il y avait dans son discours cette envie de donner la parole à ceux qui sont à la marge.
L'on pouvait aussi y voir un personnage de grande sensibilité.

J'avais apprécié quand il avait dit : " Je bous, ce qui compte c'est l'intensité des choses !"

Il restait à le lire, chose faite avec "Mapuche", roman ayant pour cadre l'Argentine actuelle en pleine crise économique, encore sous le traumatisme des années de dictature de la junte militaire (1976/1983).

J'y ai trouvé un style en conformité avec ce que j'avais pu ressentir en le voyant. Un style avec du punch, percutant, parfois cru, violent  au service d'un polar social et géopolitique , un style qui peut parfois choquer. Il m'a fallu une quarantaine de pages pour m'y adapter.

Ses personnages se débattent dans un monde sordide où le mal triomphe bien trop souvent et où il se décline sous maintes formes.

Comme vous le savez, j'aime quand le polar raconte le monde en plus d'une histoire bien menée.  J'aime quand je peux y apprendre quelque chose, ce qui est le cas avec celui-ci qui relate la violence avec laquelle la junte militaire opprima le pays, utilisant pour cela la peur, la torture, le meurtre dissimulé aboutissant à des dizaines de milliers de "disparus". Et puis il y eut ces bébés enlevés à leurs parents assassinés et donnés à des familles favorables au pouvoir en place.

Il va être question de tout cela dans ce roman, avec Jana, jeune sculptrice appartenant à un peuple  (les Mapuches) qui fut décimé par les Blancs, notamment pour les déposséder de leurs terres. Elle rencontrera Ruben, fils d'un poète assassiné par les sbires de la dictature argentine. Je n'en dirai pas plus !

Outre le fait qu'il apparaît clairement que l'auteur s'est très bien documenté, l'on reçoit ce roman comme un coup de poing avec des décharges d'adrénaline. L'on suit pas à pas Jana et Ruben dans leur enquête, l'on se révolte avec eux, l'on tremble pour eux !

Ce roman obtint le Prix Landernau polar 2012 et fut considéré comme le meilleur polar français 2012 par le magazine Lire.


Extraits :

"Nudité, contacts corporels, sons, odeurs, Rubén avait mis des années à supporter les situations associées à la torture. Au delà du traumatisme physique, les blessures psychiques avaient été les plus longues à cicatriser : une souffrance mentale aiguë relayait alors celle des sévices endurés, l'horreur s'engouffrait dans les brèches jusqu'à faire désirer le suicide comme dernier geste d'autonomie."

Bonne et belle lecture

JC Togrège
17/03/2016








samedi 11 mars 2017

LIVRE BD /// A CAUSE DE LA VIE - VERONIQUE OVALDE ET JOANN SFAR

 
A CAUSE DE LA VIE
VERONIQUE OVALDE ET JOANN SFAR


Belle rencontre que celle d'une romancière, Véronique Ovaldé ("Et mon cœur transparent",  "Ce que je sais de Vera Candida") et d'un auteur de BD, Joann Sfar ("Le chat du rabbin") pour un livre qui permet à leurs deux imaginaires de se rencontrer et de se mêler pour une histoire charmante et pleine de fraicheur entre deux enfants au début de l'adolescence.

Comment appeler cette œuvre qui réunit deux formes d'expression : les dessins et un texte ? 

Ce n'est pas qu'un roman, ce n'est pas qu'une BD, les deux univers sont à égale importance et en totale symbiose. Alors, inclassable ce conte ?

D'ailleurs, quand je suis allé acheter ce livre en librairie, je ne l'ai pas tout de suite trouvé.
J'ai d'abord regardé parmi les nouveaux romans, il n'y était pas. Je m'apprêtais à me rendre au rayon BD et puis j'ai demandé à la libraire qui m'a répondu : "Comme on ne savait pas où le mettre, nous l'avons placé à l'entrée"

C'est une histoire qui se passe entre deux jeunes voisins en 1984 : d'un côté Nathalie qui préfère à son prénom celui de "Sucre de Pastèque" et qui attend un chevalier servant la sortant de sa monotonie, dont le patronyme serait "Méfaireplusplaisir" et de l'autre Eugène, 11 ans, souvent plongé dans le mutisme pour cacher son bégaiement. Tous les deux sont à part et n'ont guère d'amis. Entre eux, un jeu subtil va se mettre en place avec des défis lancés par la jeune fille comme dans un roman courtois du Moyen Âge. Eugéne, en amoureux prêt à tout, parviendra t-il à conquérir le cœur de sa "belle" en réussissant toutes les épreuves ?

Je suis tombé sous le double charme du texte (la petite musique de l'auteur) et des dessins (sans oublier la coloriste Brigitte Findakly) , qui sont aux services d'une belle histoire faite de défis dans cette époque bien restituée des années 80 : les posters accrochés aux murs, le magnéto cassettes ...

Les personnages sont touchants, attachants et rendus d'autant plus présents qu'ils sont dessinés avec le talent de Joann Sfar.

Les deux arts se complètent, se répondent.
 
En somme un double plaisir pour le lecteur !

Extraits :

" Nous ne pouvons pas parler d'Eugène dans son ancienne école ou de Nathalie à l'école Marguerite-Letoc. Ce serait aller contre leurs volontés. L'école est pour tous les deux un lieu de douleurs qu'ils classent dès qu'ils rentrent chez eux dans la corbeille sans fond des choses à oublier."

"Nathalie se demande pourquoi les adultes ne consultent jamais les enfants à propos de rien. Les enfants, pense t-elle, sont des petites personnes extrêmement intuitives, des personnes qui ont encore une relation sauvage au monde. Il faudrait faire plus souvent confiance aux enfants, se dit Nathalie, et on se tromperait moins fréquemment.


JC Togrège
11/03/2017








vendredi 10 mars 2017

LIVRE /// 2084 - BOUALEM SANSAL -

2084
La fin du monde
BOUALEM SANSAL
 

Lire Proust est un régal qui présente un inconvénient majeur, celui de trouver un livre qui puisse être lu après lui. Quand on touche à une qualité d'écriture comme la sienne, nombre d'auteurs risquent d'apparaître fades. C'est ce qui m'est arrivé avec deux livres qui me sont tombés des mains en raison du style, d'où mon absence de chroniques depuis plus d'une semaine.

Alors, j'ai inspecté ma PAL et ai trouvé le roman de Boualem Sansal acheté deux ans auparavant.

"Arti avait perdu le sommeil. L'angoisse le saisissait de plus en plus tôt, à l'extinction des feux et avant même, lorsque le crépuscule déployait son voile blafard et que les malades, fatigués de leur longue journée d'errance, de chambrées en couloirs et de couloirs en terrasses, commençaient à regagner leurs lits en traînant les pieds, en se lançant de pauvres vœux de bonheur pour la traversée nocturne. Certains ne seraient pas là demain. Yölah est grand et juste, il donne et reprend à son gré"

Ces premières lignes prometteuses étaient celles d'un auteur qui avait une voix bien à lui !

La qualité d'écriture est constante avec un sujet fort et une analogie avec le "1984" d'Orwell revendiqué par l'écrivain et actualisé autour du thème de la dictature islamiste.

 Nous nous trouvons en Abistan, vaste empire né à la suite de conflits destructeurs, où les libertés individuelles sont cadenassées, la vie de chacun étant sous le joug d'une religion obscurantiste au Dieu nommé Yölah servi par son prophète Abi.

L'individu n'a pas à réfléchir, tout ce qu'il doit savoir se trouve dans les commandements ou versets du livre d'Abi. Les "déviants" sont traqués et assassinés en place publique devant une foule endoctrinée.

Le passé a été renié, oublié et dissimulé. Il ne doit rien subsister de ce qui précédait l'avènement d'Abistan.  Le système contrôle tout : les pensées, les déplacements, la langue, les lieux de pèlerinage, l'histoire. La délation est de règle, l'on y parle des martyrs morts en guerre sainte, et bien sûr les livres n'existent plus !

Un citoyen ordinaire, Ati, sortant d'une cure où il faillit mourir, va se mettre à douter, à réfléchir par lui-même. Sa rencontre avec Nas, qui a découvert un ancien village mettant en danger les théories du pouvoir, sera décisive dans son parcours.
Existe t-il une frontière, autre chose que l'état totalitaire qui règne sur le monde ?

Ce livre, c'est une fable à travers laquelle l'auteur nous met en garde contre la montée du fanatisme islamiste et où il décrit tous les procédés utilisés par les fanatiques religieux pour imposer leur vision du monde.

La démonstration est brillante, didactique, cela un peu au détriment de l'intrigue romanesque.

Cette lecture me donne envie de me replonger au plus vite dans le monde d'Orwell.

Bonne et belle lecture

JC Togrège
10/03/2017

mercredi 1 mars 2017

LIVRE /// A L'OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEURS DE PROUST

A L'OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEURS
MARCEL PROUST
 
GONCOURT 1919
 

Depuis novembre 2016 que je me suis "remis" à Proust, je viens d'en achever le deuxième roman qui obtint le Goncourt en 1919.

Certes, je lis d'autres livres en même temps, ce qui explique ma lenteur, mais en partie seulement. Et c'est très bien ainsi !

Ce sont des romans qui ne peuvent se lire que lentement en harmonie avec le rythme sinueux et étiré de la narration. Il faut prendre son temps, parfois revenir en arrière et même laisser vagabonder son esprit.

C'est le contraire de nombre de romans contemporains où tout doit être percutant, vif, rapide, où il faut tenir son lecteur sans arrêt en haleine, où il faut toujours qu'il se passe quelque chose, souvent en utilisant des phrases courtes et en bannissant les descriptions. 

Chez Proust, un roman ne se dévore pas au sens où on l'entend de nos jours pour décrire un livre qu'on ne peut pas lâcher et qu'il faut finir au plus vite... quitte à l'oublier parfois aussi rapidement. Loin de moi l'idée de dénigrer les auteurs actuels, j'aime aussi être pris par une intrigue et tourner les pages avec frénésie. C'est cela, varier les plaisirs !

C'est simplement pour dire qu'il faut s'armer de patience, se faire à ses longues phrases et parenthèses, ses digressions, aimer l'analyse des sentiments, des sensations. Chez lui, les personnages ont tous une "épaisseur", l'on apprend à les connaître lentement, l'on voit leur évolution au fil des tomes. Et puis, son humour est subtil et c'est plaisir de le débusquer au détour d'une phrase.

Je ne vous ai pas raconté l'histoire car ce serait gâcher le plaisir de ceux qui viennent juste de commencer le premier roman "Du côté de chez Swann", car l'on n'y retrouve les mêmes personnages. Je dirai simplement qu'il apparaît dans celui-ci le baron de Charlus et Albertine.

Et puis il y est parlé beaucoup de jeunes filles qui font rêver Marcel, le narrateur, devenu adolescent.

Extraits :

" Si j'avais été moins décidé à me mettre définitivement au travail, j'aurais peut-être fait un effort pour commencer tout de suite. Mais puisque ma résolution était formelle et qu'avant vingt-quatre heures, dans les cadres vides de la journée du lendemain où tout se plaçait si bien parce que je n'y étais pas encore, mes bonnes dispositions se réaliseraient aisément, il valait mieux ne pas choisir un soir où j'étais mal disposé pour un début auquel les jours suivants, hélas ! ne devaient pas se montrer plus propices. Mais j'étais raisonnable. De la part de qui avait attendu des années, il eût été puéril de ne pas supporter un retard de trois jours (...)"

N'est-ce pas une jolie façon de parler de la procrastination ?

Bonne lecture

JC Togrège
01/03/2017