vendredi 30 juin 2017

BILLET D'HUMEUR /// ET UN, ET DEUX, ET TROIS !

ET UN, ET DEUX, ET TROIS !
 


Pour qui me connait, cette formule ne peut pas être là pour servir d'introduction aux petits exploits de grands gamins gambadant sur une pelouse entretenue à grand frais.
Les sports de compétition m'indiffèrent.

Ah que nenni (*), c'est bien plus important !

Le UN désigne Tom du premier cru 2012 , le DEUX  Mélodie une romance éclose en 2015, et le TROIS c'est pour Méline née le 30 juin 2017. Ce qui nous fait trois petits-enfants offerts par la Vie qui se plait à pointer du doigt où se place l'essentiel. Nous l'avions déjà su lors de la naissance de nos trois enfants, mais il est bon d'avoir des piqûres de rappel.

Et un, et deux, et trois !

Chaque naissance sonne comme la promesse de nombreuses premières fois pour le nouvel être qui a tout à découvrir. Sans le regard désabusé de trop d'adultes vieillis prématurément, il ouvrira au fil des mois ses yeux sur la beauté du monde, heureux d'être simplement en vie. Tout est merveille pour qui a un regard neuf !

En de si belles circonstances, j'aime à citer les vers d'un de nos plus grands poètes, Victor Hugo :

" Seigneur ! Préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,

De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants !"

C'est un extrait du célébrissime poème "lorsque l'enfant paraît"  (recueil "les feuilles d'automne"). Chaque faire-part de nos enfants fut illustré de quelques vers tirés de celui-ci.

Je vous invite aussi à lire "l'art d'être grand-père", recueil que publia le poète en 1877. Vous deviendrez ainsi les familiers de Jeanne et Georges, ses deux petits-enfants dont il dut prendre en charge l'éducation suite au décès de leur père.

Et un, et deux, et trois !

Une naissance, l'on a envie de la crier à tue-tête, de la proclamer à la face du monde, c'est le triomphe de l'espérance. L'on aimerait aussi l'annoncer à ceux qui ne sont plus là, c'est ce qu'on appelle le manque.

Ah et puis autant l'avouer, avec les années, j'ai appris à me retourner en entendant le mot de "papi" et à ne plus chercher derrière moi un ascendant chenu. Après tout il y a de jeunes papis !


JC Togrège
01/07/2017

* Mon épouse me dit qu'il ne faut pas écrire "Que Nenni ! " mais "Que Nini !", remarque que seuls les membres de notre famille peuvent comprendre.

LIVRE /// DANS LE SILENCE DU VENT - LOUISE ERDRICH - la voix d'un auteur défendant la cause des Indiens d'Amérique

DANS LE SILENCE DU VENT
DE LOUISE ERDRICH


Joe est un adolescent de 13 ans qui voit sa vie bouleversée par le viol de sa mère. Celle-ci s'enferme dans le mutisme, recluse dans sa chambre. De même que son père, il se sent désemparé et ne sait pas comment lui venir en aide.

L'enquête a peu de chance d'aboutir, car il faut vous dire que Joe est amérindien et vit au Dakota. Les lois en défaveur de son peuple sont telles que même identifié, le coupable ne sera sans doute pas condamné.

Louise Erdrich, en défenseur de la cause indienne, précise dans sa postface :"

" Une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie (et ce chiffre est certainement supérieur car souvent les femmes amérindiennes ne signalent pas les viols); 86% des viols sont commis par des hommes non-amérindiens; peu d'entre eux sont poursuivis en justice"

Joe va alors enquêter pour trouver le coupable aidé en cela par ses copains.

Sa vie ne sera plus jamais la même, les rapports avec sa famille seront modifiés, ce sera la fin de l'innocence et la confrontation avec l'injustice.

Ce récit qui se déroule en 1988 mais qui pourrait se dérouler encore de nos jours, nous emmène dans la vie des réserves avec la découverte de coutumes qui ont survécu à l'invasion européenne, malgré l'évangélisation forcée des survivants parqués à l'issue des guerres indiennes.

Nous y voyons le racisme et l'iniquité qui prévalent encore en défaveur des Indiens.

Il y a un souffle dans ce livre qui nous met en empathie avec ce jeune garçons qui va mûrir précocement du fait du drame survenu dans sa famille. Nous comprenons son cri de rage !

Il y a  aussi de l'épique aussi avec des personnages hauts en couleur, tels  Mooshum et la tante Sonja, tout un monde qui rend ce roman foisonnant.

Extrait :

" J'avais trois copains. Je continue à en voir deux. L'autre n'est plus qu'une croix blanche le long de la Montana Hi-Line. Enfin, c'est là qu'est inscrit son départ physique. Quant à son esprit, je l'emporte partout avec moi sous la forme d'une pierre ronde et noire. Il me l'a donnée quand il a découvert ce qui était arrivé à ma mère. Virgil Lafournais, c'était son nom ou Cappy. Il m'a raconté que la pierre était de celles qu'on trouve au pied 'un arbre foudroyé, qu'elle était sacrée. Il appelait ça un œuf d'oiseau-tonnerre. Il me l'a donnée le jour où je suis retourné en classe. Chaque fois qu'un autre gamin ou instituteur me lançait un regard apitoyé ou curieux, je touchais la pierre que Cappy m'avait donnée."

"Dans le silence du vent"  (paru sous le titre "The Round House") obtint la plus prestigieuse distinction littéraire aux Etats Unis, le National Book Award.

 Louise Erdrich, une romancière américaine d'envergure!

JC Togrège
30/06/2017

vendredi 23 juin 2017

LIVRE / LE JEU DES OMBRES - LOUISE ERDRICH -

LE JEU DES OMBRES
LOUISE ERDRICH

Etant plongé dans "le silence du vent" de Louise Erdrich, je publie une chronique que j'avais écrite en 2014 sur un autre de ses romans découverts par hasard sur un lieu de vacances :

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Surprise fort agréable en arrivant dans le gîte loué en Ardèche que d’y découvrir en accueil une bouteille de rosé, une autre de jus de pomme et quelques fleurs sur la table. Preuve d’une hospitalité sympathique déjà rencontrée par ailleurs (mais pas souvent), mais avec cette fois-ci une note littéraire supplémentaire  d’une petite bibliothèque contenant une cinquantaine de romans allant de Balzac à Orwell en passant par Sartre mais aussi par des auteurs contemporains tels Louise Erdrich. Attention de fort bon goût !

 
Bien sûr, il n’est pas concevable de partir en vacances sans livres et instruments (nous avions les deux dans nos bagages), mais l’inattendu est plaisant et ouvrir un roman un peu au hasard, quelle belle aventure ! Cumuler la découverte d’une région et d’un auteur, c’est comme gagner deux fois à la loterie.

 
Irène qui tient depuis des années son journal intime découvre que son mari (peintre reconnu) le lit, ce qu’elle ressent comme une trahison impardonnable. Alors, pour le punir, elle va tenir deux journaux, l’un destiné à ronger son époux dans lequel elle recourt même à des mensonges pour faire mal, et l’autre, le vrai, qu’elle cachera dans un coffre à la banque.

 Extrait :

« Quand je t’imagine descendant l’escalier pour aller dans la pièce où j’écris, et sortant mon journal de derrière les vieux dossiers, je ressens des choses insupportables. Je sais que c’est le genre de violation mineure dont d’autres se remettraient.
Mais pour moi…
Là, Irène s’arrêta et se tordit les mains, qu’elle avait sèches et froides. Elle était glacée jusqu’aux os et se mit à trembler. Elle renfila son manteau et continua.
… c’est une question de vie ou de mort.
Tu vas lire ce que j’ai écrit à propos du moment où tu as soudain tout révélé, le moment où j’ai compris qui tu es vraiment. Mais il n’y a pas eu de moment. Tu devrais le savoir
. »
 

Le couple va alors se déchirer par l’intermédiaire de mots  vengeurs écrits par l’une et lus en cachette par l’autre.

 
Jusqu’où va la connaissance ou méconnaissance de l’autre ?

 
Gil est obsédé par une citation de F. Scott Fitzgerald « Il ne nous est pas donné de connaître ces rares moments où les autres sont totalement ouverts et où le moindre contact peut flétrir ou guérir. Une seconde trop tard et nous ne pourrons plus jamais les atteindre en ce monde… »

 
Ce couple va osciller entre l’attraction et la détestation sous le regard un peu perdu de leurs trois enfants qui seront également un enjeu dans ce duel psychologique.

 
Ce livre, c’est aussi des passages sur la culture des Indiens (leurs coutumes, leur décimation, leur survivance aujourd’hui), car cette romancière en a fait un sujet récurrent de son œuvre de par ses origines mixtes.

 Ce roman a obtenu le Prix des Lecteurs 2014.

 
Bonne et belle lecture

JC Togrège
11/09/2014

vendredi 9 juin 2017

BILLET D'HUMEUR /// VOILA QUAND ON S'APPELLE ... DUR DUR !

VOILA QUAND ON S'APPELLE...DUR DUR !

Dans "Le côté de Guermantes", Proust aborde de jolie façon les "tics verbaux" qui d'un coup se mettent à fleurir à foison dans les conversations.

Extrait ci-dessous :

(...) Quel était dans ce cas le bourgeois à qui M. de Guermantes avait entendu dire : "quant on s'appelle", il n'en savait sans doute rien. Mais une autre loi du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et s'éloignent certaines maladies dont on n'entend plus parler ensuite, il naît, on ne sait trop comment, soit spontanément, soit par un hasard comparable à celui qui fit germer en France une mauvaise herbe d'Amérique dont la graine prise après la peluche d'une couverture de voyage était tombée sur un talus de chemin de fer, des modes d'expressions qu'on entend dans la même décade dites par des gens qui ne se sont pas concertés pour cela. Or, de même qu'une certaine année j'entendis Bloch dire en parlant de lui-même : "Comme les gens les plus charmants, les plus brillants, les mieux posés, les plus difficiles, se sont aperçus qu'il n'y avait qu'un seul être qu'ils trouvaient intelligent, agréable, dont ils ne pouvaient se passer, c'était Bloch", et la même phrase dans la bouche de bien d'autres jeunes gens qui ne le connaissaient pas et qui remplaçaient seulement Bloch par leur propre nom, de même je devais entendre souvent le "quand on s'appelle".

Si en cette fin de XIXème siècle, le "quand on s'appelle" agaçait l'auteur de "A la recherche du temps perdu",  que dirait-il  en entendant aujourd'hui à tout propos la préposition "voilà" ?

Ce petit mot tout simple, tel une mauvaise herbe, se retrouve partout, à tout propos, que ce soit en milieu de phrase quand celle-ci devient bancale et que le locuteur n'arrive pas à la poursuivre ou le plus souvent pour la clore, comme si un simple point n'était pas suffisant.

L'ennui avec ces tics verbaux, c'est le risque de contamination, et que malgré soi ils se mettent à surgir dans notre propre bouche. Oh, j'ai failli terminer en écrivant "quoi', autre plaie verbale que certains utilisent à la fin de chaque phrase !

Un peu de patience car, comme le souligne Proust, aussi vite sont-ils apparus qu'ils disparaissent soudain, sans doute remplacés par un autre tic verbal devenu mode.

Qui utilise encore le "dur dur !" que l'on entendait partout dans les années 80 ? Cette petite expression fut même reprise par un groupe opportuniste pour en faire un tube puis par un horripilant bambin nous assénant son " dur dur d'être un bébé !" Trop c'était trop !

Qui se souvient encore du snob "distinguo" qui émaillait les discours dans les années 1970 ?

Alors un peu de patience, car tôt ou tard, une utilisation abusive mène à la saturation qui équivaut à la disparition de l'intrus.

Voilà, quoi  !

JC Togrège
10/06/2017

LIVRE /// LE COTE DE GUERMANTES - PROUST -

LE COTE DE GUERMANTES
MARCEL PROUST

 
 

Eh non, je n'avais pas arrêté la lecture de Proust, mais je dois reconnaître que ce 3ème roman (volumineux - 800 pages)  m'a quelque peu résisté, notamment dans sa deuxième partie.

Nous retrouvons maintenant notre narrateur jeune homme qui découvre la vie parisienne des salons de la fin du XIXème siècle. Comme ce fut le cas dans les deux précédents romans, le voilà de nouveau épris, et cette fois-ci de Mme de Guermantes. Il usera de nombreuses combines et relations pour être admis dans son cercle où il est si difficile d'être invité.

Avec ce jeune homme mondain, oisif et quelque peu devenu superficiel, nous pénétrons dans différents salons et découvrons la vacuité, les préjugés, les perfidies, les médisances, la bien-pensance de cette société qu'on appelait alors celle des "gens du monde".

 Marcel Proust ne les épargne pas, les montrant avec humour dans toute leur bêtise, snobisme et méchanceté. Il y est aussi fait état de l'affaire Dreyfus, l'opinion étant partagé entre "Dreyfusards" et "anti-Dreyfusards". Nombre des gens de ce milieu faisaient  état d'un antisémitisme qui était alors fort répandu.

Notre narrateur lui-même s'étonnera de ne pas trouver dans ces lieux si prisés davantage de conversations de haute volée, tout en restant ébloui par Mme de Guermantes.

Alors certes, chez Proust, il y a toujours ce style inégalé, des analyses fines, des remarques et réflexions qui interpellent, de l'humour d'une grande finesse, et c'est encore le cas dans ce roman.

Certes, nous voyons apparaître le baron de Charlus, personnage fantasque qui prendra une place plus importante dans les romans suivants.

Certes, il y a la maladie de la Grand-mère, l'amitié avec Saint Loup,

Certes, lire un autre auteur derrière Proust peut toujours sembler fade,

Cependant, j'avoue que des centaines de pages consacrées aux discussions dans les salons  (dont un certain nombre sur la généalogie car c'est à celui qui se glorifiera le plus d'être de souche "noble") ont failli terrasser mon envie de continuer ma lecture.

Aurais-je poursuivi si je n'avais pas l'intention de découvrir la suite de " la recherche du temps perdu" dans les romans suivants ?

Ne vais-je pas me faire conspuer pour oser dire cela du grand écrivain ?
De quel droit, est-ce que je peux évoquer l'ennui en parcourant un style d'une telle qualité ?
En somme, n'est-ce pas un crime de lèse-majesté ?

Je vous laisse juge...

Extrait :


" Quelques heures plus tard, François put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux qui grisonnaient seulement et jusqu'ici avaient semblé être moins âgés qu'elle. Mais maintenant, au contraire, ils étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune, d'où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d'années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espérance, d'un rêve de bonheur, même d'une innocente gaîté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand-mère. Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du Moyen Age, l'avait couchée sous l'apparence d'une jeune fille."




Bonne et belle lecture

JC Togrège
09/06/2017



CINE //// DJANGO - ETIENNE COMAR - Un film profond et musical

DJANGO
D' ETIENNE COMAR
 
avec Reda Kateb, Cécile de France, Beata Palya


Ce film ne retrace pas la vie de Django Reinhardt, mais nous présente le musicien en pleine tourmente en 1943. Alors qu'il triomphe à Paris et ne vit que pour sa musique, considérant que cette guerre n'est pas la sienne, il se voit "proposer" une série de concerts en Allemagne.
Ne voulant pas jouer pour les nazis, il n'a d'autre solution que de fuir pour essayer de rejoindre la Suisse. Il comprend alors qu'il ne peut pas occulter le contexte politique de son époque.

A travers cet épisode de la vie du génial guitariste, le réalisateur  nous rappelle les persécutions dont furent victimes les Tsiganes, le IIIème Reich les considérant comme des "sous-hommes" et accablant leur musique du terme de "dégénérée".

N'oublions pas que 600 000 Tsiganes moururent pendant la seconde guerre mondiale et que bien d'autres furent internés.

Outre cet intérêt historique majeur, il y a bien sûr la musique de Django Reinhard tout au long du récit qui nous envoûte et nous emmène dans ce swing manouche qui le caractérise. Les scènes musicales sont très bien filmées et les gros plans sur les mains très réussies. A noter que c'est Christophe Lartilleux, qui  a fait la doublure "main", ce qui crédibilise d'autant plus le film sur le plan musical. La caméra filme les mains de quelqu'un qui sait jouer et non quelqu'un qui fait semblant, la différence est énorme.

J'ai été touché par l'émotion qui se dégage du "requiem pour mes frères tziganes" que composa Django Reinhardt et qui fut joué une seule fois à la libération. La partition ayant été égarée, il n'en subsiste que quelques fragments. C'est Warren Ellis qui a complété ce morceau avec l'aide de David Reinhardt (petit-fils de Django)

Et puis, il y a Reda Kateb qui est excellent dans le rôle. Sobre et élégant, il apporte une présence très forte à ce personnage attachant qui nous est présenté avec ses paradoxes. J'avais déjà été séduit par cet acteur (notamment dans "Hippocrate") mais ce film le révèle à sa mesure.  Cela ne fait pas oublier pour autant la prestation des autres acteurs, donc celle de Cécile de France en agent double énigmatique.

Un film profond et musical !

Musicalement vôtre

JC Togrège
09/06/2017



 
 

mardi 6 juin 2017

LIVRE /// D'APRES UNE HISTOIRE VRAIE - DELPHINE DE VIGAN /// un livre inclassable où la fiction et le réel deviennent indémêlables



 
Voilà un livre curieux et envoûtant que ce roman de Delphine De Vigan où le réel et la fiction s’entremêlent jusqu’à ne plus décerner le vrai du faux, l’autobiographie de la fiction. Et cela commence avec la photo de la couverture où l’on croit y deviner l’auteur adolescente, et puis non, ce n’est pas elle, mais cela aurait pu car il y a une ressemblance physique indéniable. 

L’histoire, c’est celui d’une romancière qui a connu un très grand succès avec une biographie sur sa mère bipolaire (« Rien ne s’oppose à la nuit », un livre que j’avais beaucoup aimé) et qui n’arrive plus à écrire. Tiens tiens, se dit on, on est dans l’autobiographie. Et puis l’on va vers la fiction quand Delphine (car elle utilise son prénom dans le roman) rencontre une prénommée L. (on n’en saura jamais plus sur son identité) qui va la subjuguer et prendre une place de plus en grande dans sa vie, jusqu’à quasiment la « vampiriser » en ce sens, qu’elle va agir en son  nom, tout cela au nom de l’amitié, de la main tendue etc. 

Non seulement L. prend en main la vie de Delphine mais en plus elle s’immisce dans ce qui doit être  ce prochain livre dont elle n’a pas écrit une ligne depuis plusieurs années. Il y a alors des discussions sur l’écriture et la création, des réflexions sur les mérites de l’autofiction par rapport aux personnages inventés, les demandes du lectorat qui veut du vrai. Les arguments s’échangent de part et d’autre, L. finissant par lui imposer ses idées.

 Leurs discussions et réflexions interviennent dans un récit dont la tension va crescendo. L’on perçoit le danger qui guette Delphine, l’on sent que cette L. devient un danger.  Veut-elle prendre sa place ? Jusqu’où peut-elle aller ? Jusque où peut-elle être dangereuse ? Cette question se pose d’autant que les références à Stephen King ne manquent pas avec  des citations en exergue des trois parties du récit : Séduction, Dépression, Trahison.

Le réel et la fiction devenant indémêlables , la question peut aussi se poser : cette L. existe t’elle vraiment ?

Je vous recommande cette lecture tant pour cette formidable oscillation entre le vrai et le faux que pour toutes les interrogations sur ce qu’est la création littéraire et le rôle de l’écrivain.
 
 
 
 Extraits :
 
« Je ne te parle pas du résultat. Je te parle de l’intention. De l’impulsion. L’écriture doit être une recherche de vérité, sinon elle n’est rien.  Si à travers l’écriture tu ne cherches pas à te connaître, à fouiller ce qui t’habite, ce qui te constitue, à rouvrir tes blessures, à gratter, creuser avec les mains, si tu ne mets pas en question ta personne, ton origine, ton milieu, cela n’a pas de sens. Il n’y a d’écriture que l’écriture de soi. Le reste ne compte pas. C’est pour ça que ton livre a rencontré un tel écho. Tu as quitté le territoire du romanesque, tu as quitté l’artifice, le mensonge, les faux-semblants. Tu es revenue au Vrai, et tes lecteurs ne s’y sont pas trompés. Ils attendent de toi que tu persévères, que tu ailles plus loin. Ils veulent ce qui est caché, escamoté. Ils veulent que tu en vienne à dire ce que tu as toujours contourné. Ils veulent savoir de quoi tu es faite, d’où tu viens. Quelle violence a engendré l’écrivain que tu es. Ils ne sont pas dupes. Tu n’as levé qu’un pan du voile et ils le savent très bien/ Si c’est pour recommencer à écrire des petites histoires de sans-abri ou de cadres supérieurs déprimés, tu aurais mieux fait de rester dans ta boîte de marketing. »
 
« Quiconque a connu l’emprise mentale, cette prison invisible dont les règles sont incompréhensives, quiconque a connu ce sentiment de ne plus pouvoir penser par soi-même, cet ultrason que l’on est seul à entendre et qui interfère dans toute réflexion, toute sensation, tout affect, quiconque a eu peur de devenir fou ou de l’être déjà, peut sans doute comprendre mon silence face à l’homme qui m’aimait. C’était trop tard »
 

 
Bonne et belle lecture
JC Togrège