LES CROIX DE BOIS
ROLAND DORGELES
Pour qui a lu ma chronique précédente sur "La révolution en champagne d'avril 1911", vous savez que j'ai sorti des profondeurs de son rangement un vieil album familial de cartes postales des années 1910 à 1918.
Bien sûr, quelques cartes concernant la première guerre mondiale y figurent, témoignages envoyés par des "Poilus" à leur famille qui serviront à illustrer cette chronique-ci consacrée au roman de Roland Dorgelès que j'ai lu sur une vieille édition au papier jauni.
Ce livre qui appartenait à mon grand-père maternel n'a vraisemblablement pas été pas été lu depuis au moins 60 ans. Parcourir des pages qui furent tournées par un membre de ma famille que je n'ai pas connu (car mort prématurément avant ma naissance) mais dont j'ai lu la correspondance de la seconde guerre mondiale (ce qui fait que j'ai l'impression de l'avoir connu) a quelque chose de particulier, voire de touchant.
Pour en revenir à l'objet de cet article, le titre correspond à toutes ces croix qui se trouvaient sur les chemins du front et qui signalaient des tombes sommaires de soldats français ou allemands. Il y en avait malheureusement beaucoup ! Ce titre, ce fut comme rendre un hommage à tous ces jeunes gens fauchés pendant l'horreur de cette guerre qui fit des millions de morts.
Au dos de cette carte postale : " ... situation critique dans notre bois. On attend un choc pour cette nuit, probablement pour fêter la prise de la Bastille ou la Pastille on attend toujours."
Roland Dorgelès, à partir de son expérience, nous raconte le quotidien de soldats à travers des chapitres, comme autant de petites séquences prises sur le vif : les tranchées, la peur, la saleté, les poux, le froid mais aussi la camaraderie qui fait que les hommes tiennent le coup malgré l'insoutenable. Et puis il y avait cette envie de vivre chez tous ces jeunes hommes !
L'on s'attache aux personnages d'une escouade dont très peu sortiront vivants, et aucun indemne, la mémoire à jamais marquée.
Les Rêves du Soldat
à droite : Il se rappelle le bon temps où sa mère le dorlotait avant qu'il ne s'endorme
à gauche : Il songe à l'heure où tous les siens sont réunis autour de la table familiale.
(cartes postées en 1912 mais correspondant bien à ce que pouvaient ressentir les soldats.)
Les nombreux dialogues sont l'occasion de retrouver un vocabulaire employé par les soldats : le gourbi (l'abri qui sert d'habitation), un type bonnard (sympathique, bon enfant), la boite de singe (ah non, pas de viande de singe mais du bœuf, du "corned beff"), la popote (ce qu'on cuisine), le rata (le ragoût), laisser tomber l'autre noix ! (imbécile), une marmite (projectile de gros calibre envoyé par les allemands), enfifré (bon là je vous laisse aisément deviner) etc.. Ces dialogues nous rendent proches les personnages.
J'ai une pensée pour ce grand-oncle qui fut nettoyeur de tranchée (l'un des plus sales boulots chez les Poilus, consistant à "nettoyer" une tranchée prise, c'est à dire achever les blessés), et qui fit des cauchemars épouvantables toute sa vie.
Ce roman qui obtint le prix Femina, concourut pour le Goncourt 1919 mais fut battu par "A l'ombre des jeunes filles en fleurs" de Marcel Proust par six voix contre quatre. Vous avez vu, j'ai encore réussi à vous parler de Proust l'air de rien...
Extraits
"La guerre... Je vois des ruines, de la boue, des files d'hommes fourbus, des bistrots où l'on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d'arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix... Tout cela défile, se mêle, se confond. La guerre...
Il me semble que ma vie entière sera éclaboussée de ces mornes horreurs, que ma mémoire salie ne pourra jamais oublier. Je ne pourrai plus jamais regarder un bel arbre sans supputer le poids du rondin, un coteau sans imaginer la tranchée à contre-pente, un champ inculte sans chercher les cadavres. Quand le rouge d'un cigare luira au jardin, je crierai peut-être : "Eh! le ballot qui va nous faire repérer !..." Non, ce que je serai embêtant, avec mes histoires de guerre, quand je serai vieux."
Je sème la mort. Je sème la gloire.
Je ne m'arrêterai qu'à la victoire
Canon employé par les Allemands pour tirer
contre les aéroplanes
Un livre-témoignage puissant sur la guerre 14/18 à redécouvrir !
Bonne lecture
JC Togrège
11/08/2017
PS : Ajouts du 12/08/2017 (contribution CG)
Voici les chansons chantées par les Poilus dans le roman :
Sérénade du pavé : https://www.youtube.com/watch?v=gTsjyk1WXFU&feature=em-share_video_user
Si tu veux... Marguerite : https://www.youtube.com/watch?v=GiaAeMfrhRU&feature=em-share_video_user
Ferme tes jolis yeux : https://www.youtube.com/watch?v=314KVTNu4c0&feature=em-share_video_user
Et puis un extrait de l'adaptation cinématographique de Raymond Bernard :
https://www.youtube.com/watch?v=vZNsAsdsVUc&feature=em-share_video_user
PS 2 JCT : Une adaptation cinématographique en a été faite par Raymond Bernard en 1932 avec Charles Vanel, Pierre Blanchar, Harry Baur, Gabriel Gabrio. Un beau film fidèle au roman et que nous venons de revoir dans sa version restaurée de 2014. Fritz Lang le considérait comme le meilleur film de guerre jamais tourné.
PS3 : Dans cette vieille édition, les "gros mots" ne sont pas écrits en entier. Il n'y a que la première lettre et des petits points. Si ce procédé existait encore, nombre de romans contemporains deviendraient incompréhensibles ...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire