lundi 4 septembre 2017

LIVRE /// VERRE CASSE - ALAIN MABANCKOU - Une écriture très proche de la tradition orale au service d'un texte souvent drôle -

VERRE CASSE
ALAIN MABANCKOU


J'avais commencé à lire "Verre cassé"  puis l'avais reposé, surpris et désappointé par l'écriture : pas de point, pas de majuscule, un texte sous forme de long monologue. Mais le peu que j'avais lu avait fait son petit bonhomme de chemin dans mon esprit, cela m'intriguait. Je l'ai repris en le recommençant du début, et bien m'en prit.

Preuve s'il en est besoin, qu'il faut sortir de ses habitudes de lecteur, de son petit confort,  et se confronter à d'autres façons d'écrire, d'autres styles, d'autres formes de récit. Cela nous bouscule et c'est très bien ainsi ! C'est la diversité qui nous enrichit et la routine qui nous anesthésie. A ne rester que dans un registre connu, l'on en finit par lire ce qu'on a déjà lu ou presque, l'on passe à côté de tant d'autres auteurs que l'on pourrait aimer. Tant pis si l'on est déçu, l'on aura essayé, l'on se sera aventuré sur des terres inconnues. Il suffira de repartir pour un autre voyage qui nous charmera davantage.

Et puis si le livre nous plait, quel bonheur que de l'inscrire sur notre liste de cœur. C'est ce qui s'est passé pour moi avec ce roman proche de la tradition orale africaine. Je précise que le récit est entrecoupé de chapitres et de plusieurs parties, ce qui le rend facilement abordable, une fois qu'on s'est accoutumé au style.

L'histoire se passe dans une ville d'Afrique noire. Le patron du café "Le crédit a voyagé" charge l'un de ses habitués particulièrement assidu au bar et à la bouteille de rouge d'écrire l'histoire des clients de son établissement, qui n'est pas de première renommée. Il pense qu'il se cache derrière cet homme aviné et misérable, cet instituteur radié,  un écrivain. Alors, il lui donne un cahier pour qu'il écrive !

Extrait " crois-moi, j'ai essayé plusieurs fois moi-même mais rien ne tient parce que j'ai pas le petit ver solitaire qui ronge ceux qui écrivent, toi ce ver est en toi, cela se voit quand on discute littérature, tu as soudain l'œil qui brille et les regrets qui remontent à la surface de tes pensées, mais c'est pas pour autant de la frustration, c'est pas non plus de l'aigreur, parce que tu es tout sauf un gars frustré, sauf un gars aigre, tu n'as rien à regretter mon vieux (...) alors libère-toi, on n'est jamais vieux pour écrire"

Surpris par la demande, Verre Cassé  (c'est son nom et c'est le narrateur) va se prendre au jeu  et raconter l'histoire des uns et des autres desquels il recueille des confidences, sans oublier la sienne.

Outre les péripéties de ces différentes destinées, ce qui est également savoureux et amusant ce sont les nombreuses références littéraires qui y sont cachées, voire un peu détournées. Je ne suis pas certain de les avoir toutes détectées notamment celles concernant des auteurs de l'Afrique. Par contre, j'y ai bien reconnu Boris Vian (j'irai cracher sur vos tombes), Dostoïevski (Crime et Châtiment), Céline (Mort à crédit) et très souvent Georges Brassens nommé le chanteur à moustache. Il y en a d'autres, à vous de les trouver ! Cela devient comme un jeu parallèle au récit auquel on se prend.

Il faut souligner que ce livre est drôle de bout en bout, ce qui n'est pas fréquent. Certes, la pruderie y est un peu mise à dure épreuve car Mabanckou parle de tout ce qui fait la vie et c'est aussi la scatologie et le sexe.

Alors prêt pour un voyage en "terra incognita" ?

Pour le plaisir, un autre petit extrait :

" je peux toutefois noter sur cette page que, sans me vanter, d'une manière ou d'une autre, j'ai voyagé à travers le monde, je ne voudrais pas qu'on me prenne pour un gars qui ignore les choses qui se passent hors de sa terre natale, je n'accepterais pas un tel raccourci, c'est pas ce vin que je cuve qui me ferait oublier ce que j'ai entrepris tout au long de ma jeunesse, disons que j'ai plutôt voyagé sans bouger de mon petit coin natal, j'ai fait ce que je pourrais appeler le voyage en littérature, chaque page d'un livre que j'ouvrais retentissait comme un coup de pagaie au milieu d'un fleuve, je ne rencontrais alors aucune frontière au cours de mes odyssées, je n'avais donc pas besoin de présenter un passeport, je choisissais une destination au pif, reculant au plus loin mes préjugés, et on me recevait à bras ouverts dans un lieu grouillant de personnages, les uns plus étranges que les autres, était-ce un hasard si ce voyage avait commencé avec la bande-dessinée, hein, je n'en suis pas certain, en effet je m'étais retrouvé un jour dans un village gaulois avec Astérix et Obélix, puis dans le Far West avec Lucky Luke qui tirait plus vite que son ombre ..."

Je me suis aperçu après coup que j'avais déjà lu un de ses romans : " Mémoires de porc-épic" que j'avais déjà bien aimé. Cependant, je trouve celui-ci beaucoup plus drôle.

Vous souhaitant de nombreuses lectures pour la rentrée,
Bien à vous

JC Togrège
04/09/2017

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