NETTOYEUR DE TRANCHEES A VIE
JC TOGREGE
La première vague, après avoir franchi la première ligne ennemie, nettoie à fond le terrain conquis, fouille les boyaux et les cheminements |
2 heures du matin, et encore une fois ce réveil prématuré,
en sueur et les yeux hagards, le cœur qui
cogne dans la poitrine après ce même cauchemar !
Il faut quelques longues minutes douloureuses à Paul pour revenir à lui, que son rythme cardiaque reprenne sa mesure et qu’il puisse identifier son lit, l’armoire, le guéridon et son épouse Georgette couchée à ses côtés. Elle dort paisiblement, habituée maintenant à ce que l’obscurité ne soit pas totale. Il prend le verre d’eau posé sur la table de nuit pour humecter ses lèvres sèches, rafraichir sa gorge. Il sait que l’endormissement sera long à revenir mais il est chez lui et non là-bas.
Vingt ans ont passé depuis son retour mais rien n’y fait. Il ne peut pas oublier ce rôle d’assassin qu’on lui fit endosser, qu’on lui imposa, celui de nettoyeur de tranchées.
La Maria, sa mère, avait reçu le choc de sa déclaration,
mais avait tenu bon face à son fils. Ne pas prendre le train du retour, c’était
déserter, c’était l’arrestation par les gendarmes et être fusillé. La nation
était alors inflexible et ne rechignait pas à faire des exemples.
Depuis, il avait compris tout cela, cette souffrance et le
courage qui avaient été celui de la Maria, petite femme forte de caractère qui
lui avait sauvé la vie. Et pourtant dans le train, comme il l’avait maudite sa
mère, celle qui le renvoyait vers les carnages, vers l’inhumain.
Cette affliction perpétuelle qui surgissait la nuit, c'était le prix qu'il devrait payer pour avoir survécu aux tranchées. Cela, Paul l'avait su dès retour !
PS : Ces photos sont extraites de "L'album de la Guerre" paru en 1932 à partir de clichés et dessins publiés par "L' Illustration" de 1914 à 1921. Deux grands livres de la bibliothèque de mon grand-père paternel également sortis des malles du passé.
Il faut quelques longues minutes douloureuses à Paul pour revenir à lui, que son rythme cardiaque reprenne sa mesure et qu’il puisse identifier son lit, l’armoire, le guéridon et son épouse Georgette couchée à ses côtés. Elle dort paisiblement, habituée maintenant à ce que l’obscurité ne soit pas totale. Il prend le verre d’eau posé sur la table de nuit pour humecter ses lèvres sèches, rafraichir sa gorge. Il sait que l’endormissement sera long à revenir mais il est chez lui et non là-bas.
Il avait essayé de
dormir volet tout à fait clos mais il se réveillait alors hurlant et
gesticulant, se croyant de nouveau dans l’horreur de la guerre. Il dérangeait
toute la maisonnée, ses cris broyant le silence de la nuit. Au moins
maintenant, le retour à la réalité était facilité par un rai de clarté de lune.
Il reprenait conscience un peu plus
rapidement de l’endroit où il se trouvait.
Vingt ans ont passé depuis son retour mais rien n’y fait. Il ne peut pas oublier ce rôle d’assassin qu’on lui fit endosser, qu’on lui imposa, celui de nettoyeur de tranchées.
Nettoyeur de tranchées , comment pourrait-il en
parler ? Cela ne fait pas partie des faits glorieux dont se vantent les
anciens combattants telles les montées au front . Ce ne fut jamais tout à fait
officiel dans les états-majors, cela ne colle pas avec l’image de la « Grande
Guerre », alors l’on n’en dit mot, ça reste en soi comme une
honte, un péché impardonnable. Comment les autres pourraient ils
comprendre ? Et comment le regarderaient-ils ensuite ? Non, il valait mieux garder le silence.
Et pourtant, une fois qu’une tranchée avait été prise à
l’ennemi, c’est bien eux, les nettoyeurs de tranchées, qu’on envoyait faire le
sale boulot, tuer tout ce qui était encore vivant, à coup de grenades lancées
dans les boyaux, de pistolet puis au couteau à grande lame. Certains
utilisaient même une pelle bien aiguisée car elle tranchait net et ne restait
pas bloquée dans la chair. Il fallait agir vite afin qu’il ne restât personne
pour tirer dans le dos des copains qui devaient continuer leur avancée.
Pour ne pas devenir fou, il avait vite compris qu’il ne
fallait surtout pas regarder les yeux. Eviter le regard des blessés qu’il
allait achever, ce regard affolé de celui qui comprend que sa vie à peine
commencée va lui être volée , que c’en est fini, qu’il n’y aura pas de pitié,
qu’il n’y aura que la violence du coup, une déchirure, et puis plus rien !
Il n’avait pu empêcher que certains regards ne pénètrent
subrepticement dans ses yeux et n’y demeurent à jamais, sentinelles toujours en
veille. Ce sont ces regards qui surgissaient la nuit pour tourmenter sa conscience,
toutes les nuits et cela jusqu’à sa dernière.
Il les comprenait si
bien. Ce n’était pas cela être soldat, là c’était être bourreau, assassin.
Refuser aurait valu d’être passé par les armes pour refus d’obéissance face à
l’ennemi, alors pour rester en vie encore un peu il avait obtempéré.
fusée éclairante au-dessus des tranchées |
Il se souvenait encore de cette permission de fin 1915, six
jours obtenus au bout de cinq mois au front, le retour auprès de la famille
qu’il fallait rassurer et puis ce vendredi où il avait voulu fuir pour ne pas y
retourner. Il avait alors tout lâché à sa mère sur l’ignominie du combat et
surtout sur sa sale besogne. Il ne voulait plus tuer, lacérer les corps, il ne
prendrait pas ce train, il fuirait plutôt ou resterait tapi n’importe où.
S’il y avait une petite chance, une toute petite chance,
pour que son Paul restât vivant, il fallait la tenter. Elle l’avait laissé
crier, dire l’indicible, l’horreur, le sang, les corps explosés, les
râles. Elle avait vu ses deux grosses
larmes d’homme qui avaient coulé lentement sur ses joues, compris sa détresse.
Elle lui avait pris la main, lui avait parlé et parlé encore jusqu’à
l’anesthésier pour qu’il renonçât à son projet de fuite.
Puis elle l’avait accompagné jusqu’au train, l’âme déchirée,
toute en pleurs à l’intérieur. Qui sait si elle ne l’envoyait pas se faire
tuer ! Elle l’avait même remis avec une autorité inflexible dans le train alors qu’il en était descendu,
les yeux affolés...
Et maintenant, cette vie, qu'elle était difficile à affronter
avec tous ces morts qui le hantaient !
A tout jamais, il le savait, chaque nuit, il endosserait
l’habit du nettoyeur de tranchées et en souffrirait, cela il le ressentait du
plus profond de son être.
Une tranchée bouleversée au moyen de mines et conquise à la baïonnette |
JC Togrège
"Moments de vie"
19/10/2017
"Moments de vie"
19/10/2017
PS : Ces photos sont extraites de "L'album de la Guerre" paru en 1932 à partir de clichés et dessins publiés par "L' Illustration" de 1914 à 1921. Deux grands livres de la bibliothèque de mon grand-père paternel également sortis des malles du passé.
Comment était il permis de faire vivre ces horreurs à ces Hommes bien souvent très jeunes ?
RépondreSupprimerquelle Barbarie !
et ça n'a pas empêché la seconde guerre mondiale quelques années après !
Faisons tout pour que notre Monde reste en paix.
Quel texte poignant décrivant l'horreur que nos aînés ont vécu.
RépondreSupprimerLe devoir de mémoire est important, pour que l'on n'oublie jamais.
Didier
Je n'avais jamais entendu parler de ce "sale" boulot... C'est vraiment atroce d'avoir à vivre de telles expériences. Dans ma famille, mes ancêtres ont eu plus de chance : mon grand père maternel était le père de 12 enfants, il a donc été exempté et mon grand-père paternel étant maréchal-ferrant a eu la chance de servir à "l'arrière" pour ferrer les chevaux. Mais ils vivaient en Argonne, tout près des tranchées. La famille nombreuse a dû déménager car elle vivait à Massiges où les civils ne pouvaient plus rester à cause des combats trop violents. J'ai tellement d'empathie pour tous ces soldats qui ont vécu cette horreur. On sait que certains sont devenus fous et ne s'en sont jamais remis.
RépondreSupprimerEn complément de mon article, je recommande le film "le bruit et la fureur" de Jean-François Delassus: un documentaire sur 14/18 à partir d'images d'archives colorisées. Merci à Carole de me l'avoir fait connaître. C'est très intéressant et pédagogique. JC Togrège
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