LA PRISONNIERE
MARCEL PROUST
MARCEL PROUST
Proust fait-il peur ?
Drôle de question, non ?
Si je commence par cette interrogation quelque peu provocatrice, c'est parce que j'ai remarqué que mes chroniques sur "Proust" étaient parmi les moins lues de mon blog.
Alors que j'arrive presque au bout de mon voyage dans "La recherche du temps perdu" avec ce 5ème roman paru de façon posthume (La Prisonnière - éditée en 1923 alors que Marcel Proust est mort en 1922), j'aimerais vous dire comme ce fut un beau voyage. Un voyage commencé en novembre 2016 avec encore deux escales en vue : "Albertine disparue" que je viens de commencer et "Le temps retrouvé".
Certes, l'on est loin d'une partie des publications actuelles où il y a des rebondissements à chaque page, où tout est aseptisé (peu de descriptions, des phrases courtes, un vocabulaire réduit) de peur que le lecteur ne décroche, ne "zappe".
Chez Proust d'abord, il y a une maîtrise absolue de la langue et une grande beauté de l'écriture qu'il ne faut pas réduire à ses longues phrases où l'on peut se perdre. Il faut simplement réapprendre à lire lentement, accepter de revenir en arrière, et croyez-moi cela reste abordable à tous. Je vais dire une évidence mais lire demande un petit effort dont on est largement récompensé. Ah oui, je sais que le mot "effort" est maintenant perçu comme négatif, ce qui est une absurdité en soi.
Quant on commence une lecture de Proust, il faut s'attendre à des digressions (cela permet à l'auteur de nous parler de la Vie) et à une analyse des sentiments sur maintes et maintes pages. Rien n'est survolé, tout est décortiqué, l'on suit les méandres de la pensée du narrateur. Pour qui n'aime que l'action, je comprends que cela puisse dérouter.
Pour être franc, il est vrai qu'il est nécessaire de disposer de temps pour s'y consacrer et avoir l'esprit dispos. Si j'ai mis 20 ans pour le lire (j'ai acheté l'œuvre en 1989), ce n'est pas pour rien !
Ne croyez pas non plus que ce soit un pensum d'ennui et de sérieux ! L'humour y est largement présent, le déceler devient un délice. Entendons-nous, je ne parle pas des grosses blagues bien graveleuses et faciles si en vogue actuellement mais d'un humour subtil, d'une mise en ridicule de certains personnages. D'ailleurs un livre et un spectacle furent consacrés à l'humour dans l'œuvre de Proust.
Et puis quel plaisir de devenir un familier de "la sonate de Vinteuil", de Mme Verdurin (son salon abominable de préjugés bourgeois), de la "Petite Madeleine, de Swann, d'Odette (la Cocote parvenue), d'Albertine, de Françoise et bien sûr du narrateur (mondain oisif vivant de sa fortune,remettant sans cesse son envie d'écriture, amoureux si exigeant et compliqué).
Enfin, cela témoigne aussi d'une époque disparue (fin XIXème siècle - début XXème siècle) et de cet art des grands romanciers de nous plonger dans un autre monde que le nôtre.
Après un si long préambule, venons-en au thème de "La Prisonnière" qui est celui de l'amour exclusif et de la jalousie. La prisonnière c'est Albertine ! Elle demeurera quelques mois chez notre narrateur qui voudra tout connaître de ses faits et gestes avec cette obsession de savoir si Albertine est également attirée par les femmes.
Extrait : "Combien je souffrais de cette position où nous a réduits l'oubli de la nature qui, en instituant la division des corps, n'a pas songé à rendre possible l'interpénétration des âmes ! Et je me rendais compte qu'Albertine n'était pas même pour moi (car son corps était au pouvoir du mien, sa pensée échappait aux prises de ma pensée) la merveilleuse captive dont j'avais cru enrichir ma demeure, tout en y cachant aussi parfaitement sa présence, même à ceux qui venaient me voir et qui ne la soupçonnaient pas au bout du couloir dans la chambre voisine, que ce personnage dont le monde ignorait qu'il tenait enfermée dans une bouteille la Princesse de la Chine ; m'invitant sous une forme pressante, cruelle et sans issue, à la recherche du passé, elle était plutôt comme une grande déesse du Temps."
Bonne et belle lecture
JC Togrège
25/11/2017
Effectivement, tu parles de longues phrases où l'on peut se perdre. L'extrait = 2 phrases !! J'imagine qu'il faut un peu d'entraînement pour terminer un livre.
RépondreSupprimerEncore une bien belle chronique.
Bravo JC