samedi 9 mars 2019

LIVRE /// LEURS ENFANTS APRES EUX - NICOLAS MATHIEU : Goncourt 2018 - Un monde désenchanté

LEURS ENFANTS APRES EUX
NICOLAS MATHIEU


Cela fait plusieurs jours que j'ai fini ce livre et que je n'arrive pas en faire une chronique.

Et pourtant il me trotte dans la tête avec cette association d'un vers d'Aragon "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?". Autant vous dire que la couleur générale du roman est très sombre.

Sombre la description des années 90 correspondant à la destruction de l'industrie dans cette région de l'Est de la France (fermeture des hauts fourneaux), sombres les perspectives pour toute une population modeste ayant perdu son emploi, et plus sombre encore l'absence de rêves chez les Jeunes désenchantés *




Double mérite pour ce roman que l'on peut qualifier  d'abord d'analyse sociale d'un monde en souffrance car sinistré économiquement. Les phrases en exergue, d'où est extrait le tire, donnent le ton :

"Il en est dont il n'y a plus de souvenir,
Ils ont péri comme s'ils n'avaient jamais existé;
Ils sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés,

Et, de même, leurs enfants après eux.

Ici l'on nait dans une condition sociale et l'on n'y reste, pas moyen de s'y échapper.
Chacun s'englue dans un quotidien écrasant où il subsiste plus qu'il ne vit.
La beauté y a peu de place...

L'autre mérite c'est sa description d'une génération en quatre chapitres de 1992 à 1998, notamment avec Anthony de 14 à 20 ans. Là aussi, ce qui domine c'est l'ennui que ces jeunes masquent en fumant du shit, en buvant et en "baisant". Veuillez excuser la trivialité du terme (souvent utilisé dans le roman), mais dans ce récit les jeunes ne font pas l'amour mais répondent à des pulsions sexuelles qu'il faut satisfaire. Pas d'amoureux mais des partenaires qu'il s'agit de consommer pour son plaisir. Les scènes crues et détaillées de sexe sont largement explicites.

Une fille de bourgeois accepte fort  volontiers de coucher avec un prolo mais il ne faut pas que cela aille au-delà de la satisfaction des sens, ensuite chacun rejoint sa caste !

L'on peut se réjouir ou non d'une parité totale entre les garçons et les filles sur cette absence de morale générale qui ne touche pas que la sexualité mais l'ensemble des agissements des personnages.
Est-ce ainsi que les Jeunes des années vivaient ? Je ne pense pas, ce serait trop triste !

Ah ça y est, j'ai prononcé un mot interdit, celui de morale, ce qui va vite me discréditer, voire me faire traiter de réac. Et pourtant, quel devenir pour une société sans morale ? Il est vrai que j'aurais pu utiliser le terme d'éthique de vie  qui est plus consensuel.

Parlons un peu du style de Nicolas Mathieu. C'est une écriture maîtrisée, vigoureuse, avec du souffle. Il n'hésite pas à être très cru parfois et âpre, ce qui appuie cette sensation de déclin de société.

Comme vous l'avez compris, ce n'est pas un livre qui laisse indifférent.

Un conseil après cette lecture, plongez-vous dans le dernier roman de Mathias Malzieu où le héros tombe amoureux d'une sirène. Pour le moral, cela vous fera du bien.

Extrait : "C'est alors qu'il vit son gamin qui dansait avec une fille. Le garçon la tenait serrée et les deux mômes bougeaient avec une langueur de méduse. La voix nasale d'Eros Ramazzotti chantait le mal d'aimer et chaque couple, en se serrant, semblait gagné par le sentiment grave de son destin. Les femmes se souvenaient de chagrins imprécis. Les hommes mêmes avaient baissé la garde, et on lisait sur leur visage une conscience contrariée, comme un dépit. A la faveur de cette pauvre mélodie, la vie leur apparaissait tout à coup pour ce qu'elle était, un brouillon, une suite de faux départs. La chanson triste de l'Italien leur soufflait à l'oreille ce secret des existences mal faites, diminuées par les divorces et les deuils, criblées de travail, rognées partout, ces insomnies et ces solitudes. Ça laissait songeur. On s'aimait, on crevait aussi, on était maître de rien, pas plus de ses élans que de sa fin."

Bonnes et belles lectures !

JC Togrège
09/03/2019

* Chaque chapitre est associé à une chanson
1992 : Smells Like Teen Spirit de Nirvana
1994 You Could Be mine - Guns N'Roses
1996 : La fièvre - NTM
1998 : I will survive - Gloria Gaynor
Pour ma part, je propose "Désenchantée" de Mylène Farmer.

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