mardi 19 décembre 2017

LIVRE /// LA PROMESSE DE L'AUBE : un magnifique roman de Romain Gary


LA PROMESSE DE L’AUBE
DE ROMAIN GARY
 

Alors que l'adaptation cinématographique de ce film vient de sortir, je publie la chronique que j'avais écrite en 2011 après avoir lu ce magnifique roman de Romain Gary.
 
Puisse le film être à la hauteur d'un tel chef d'œuvre !
 
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J'étais en CE2 et avais alors pour maîtresse (l'on ne disait pas alors "institutrice" et encore moins "professeur des écoles"), Melle D..., personne sévère et stricte, mince et fort souvent habillée tout de noir. Contrairement à ses autres collègues enseignantes, elle ne portait pas de blouse et était toujours en pantalon, vêtement alors peu porté par les femmes.

J'allais oublier de préciser que c'était mon année scolaire 1968/1969. (Bigre ma brave dame ! ça ne nous rajeunit guère !)

 J'étais subjuguée lorsque cette Melle D. nous racontait l'histoire de France ou les leçons de morale, tant elle y mettait de l'intonation et de l'interprétation. Pourquoi raconter cela me direz-vous ? Quel intérêt pour vous, amis de la lecture ?

 
 

Il s'avère que j'ai très longtemps gardé en souvenir une leçon de morale de cette époque dont le thème devait être le partage ou quelque chose de proche. Je la réentends encore nous lire cet extrait de roman pour illustrer son propos  :

 Extrait de " La promesse de l'aube"

"..Depuis treize ans, déjà,  seule, sans mari, sans amant, elle luttait ainsi courageusement, afin de gagner, chaque mois, ce qu'il nous fallait pour vivre, pour payer le beurre, les souliers, le loyer, les vêtements, le bifteck de midi - ce bifteck qu'elle plaçait chaque jour devant moi - ce bifteck qu'elle plaçait chaque jour devant moi dans l'assiette, un peu solennellement, comme le signe même de sa victoire sur l'adversité. Je revenais du lycée et m'attablais devant le plat. Ma mère, debout, me regardait manger avec cet air apaisé des chiennes qui allaitent leurs petits.
Elle refusait d'y toucher elle même et m'assurait qu'elle n'aimait que les légumes et que la viande et les graisses lui étaient strictement défendues.
Un jour , quittant la table, j'allai à la cuisine boire un verre d'eau.
Ma mère était assise sur un tabouret; elle tenait sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux avec des morceaux de pain qu'elle mangeait ensuite avidement et , malgré son geste rapide pour dissimuler la poêle sous la serviette, je sus soudain, dans un éclair, toute la vérité sur les motifs réels de son régime végétarien.
Je demeurai là un moment, immobile, pétrifié, regardant avec horreur la poêle mal cachée sous  la serviette et le sourire inquiet, coupable, de ma mère, puis j'éclatai en sanglots et m'enfuis."

 
 Ce récit m'avait fasciné !
 
Elle terminait sa leçon en nous disant que par la suite la mère et l'enfant avaient partagé le bifteck en deux parts égales. Je n'ai su que des décennies plus tard, qu'il s'agissait d'un extrait d'un livre de Romain Gary, "La promesse de l'aube". Lorsque je me suis trouvé face à ces lignes, ce fut une véritable petite madeleine de Proust, me projetant dans cette classe de l'école primaire du centre ville de Reims.

 
Dans ce livre remarquable, l'auteur y raconte sa mère qui était un personnage fantasque, une sorte de "Mère Courage", qui ne vivait que pour son fils qu'elle élevait seule. Elle l'admirait, l'adorait et faisait tout pour lui car elle était persuadée qu'il avait un trait de génie, sans trop savoir encore dans quelle domaine il se distinguerait; mais elle était sûre d'une chose, il serait quelqu'un d'important, adulé par les femmes et reconnu par ses contemporains. Quelle charge lourde à porter pour un enfant qui voulait que sa mère soit fière de lui ! Cela lui fit écrire ses lignes-ci, qui explique le titre de son livre  :

 Autre extrait de " La promesse de l'aube"

"... Ce fut seulement aux abords de la quarantaine que je commençais à comprendre. Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça arrive ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que  des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu. Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il faut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en vrais diamants."

 Magnifique, non ?

Nul doute pour moi que cet auteur est l'un des très grands du XXème siècle ! Sa langue est belle, riche, limpide et teintée d'humour par petites touches délicates.

 
Je vais conclure par une "morale" en rapport avec mon préambule scolaire.

Les leçons de morale n'étaient sans doute pas inutiles quand elles étaient illustrées avec talent et pédagogie... puisque l'enfant que j'étais a conservé en lui ce récit de Romain Gary.

 

Vous espérant de belles lectures,
Bien courtoisement

JC Togrège
 

21/11/2011

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