LA PROMESSE DE L’AUBE
DE ROMAIN GARY
DE ROMAIN GARY
Alors que l'adaptation cinématographique de ce film vient de sortir, je publie la chronique que j'avais écrite en 2011 après avoir lu ce magnifique roman de Romain Gary.
Puisse le film être à la hauteur d'un tel chef d'œuvre !
J'étais en
CE2 et avais alors pour maîtresse (l'on ne disait
pas alors "institutrice" et encore moins "professeur
des écoles"), Melle D..., personne sévère et stricte, mince
et fort souvent habillée tout de noir. Contrairement à ses
autres collègues enseignantes, elle ne portait pas de blouse et était toujours
en pantalon, vêtement alors peu porté par les femmes.
J'allais
oublier de préciser que c'était mon année scolaire 1968/1969. (Bigre ma
brave dame ! ça ne nous rajeunit guère !)
Il s'avère
que j'ai très longtemps gardé en souvenir une leçon de morale de cette époque
dont le thème devait être le partage ou quelque chose de proche. Je la
réentends encore nous lire cet extrait de roman pour illustrer son
propos :
"..Depuis treize ans,
déjà, seule, sans mari, sans amant, elle luttait ainsi courageusement,
afin de gagner, chaque mois, ce qu'il nous fallait pour vivre, pour payer le
beurre, les souliers, le loyer, les vêtements, le bifteck de midi - ce bifteck
qu'elle plaçait chaque jour devant moi - ce bifteck qu'elle plaçait chaque jour
devant moi dans l'assiette, un peu solennellement, comme le signe même de sa
victoire sur l'adversité. Je revenais du lycée et m'attablais devant le plat.
Ma mère, debout, me regardait manger avec cet air apaisé des chiennes qui
allaitent leurs petits.
Elle refusait d'y toucher elle même et m'assurait qu'elle n'aimait que les légumes et que la viande et les graisses lui étaient strictement défendues.
Un jour , quittant la table, j'allai à la cuisine boire un verre d'eau.
Ma mère était assise sur un tabouret; elle tenait sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux avec des morceaux de pain qu'elle mangeait ensuite avidement et , malgré son geste rapide pour dissimuler la poêle sous la serviette, je sus soudain, dans un éclair, toute la vérité sur les motifs réels de son régime végétarien.
Je demeurai là un moment, immobile, pétrifié, regardant avec horreur la poêle mal cachée sous la serviette et le sourire inquiet, coupable, de ma mère, puis j'éclatai en sanglots et m'enfuis."
Elle refusait d'y toucher elle même et m'assurait qu'elle n'aimait que les légumes et que la viande et les graisses lui étaient strictement défendues.
Un jour , quittant la table, j'allai à la cuisine boire un verre d'eau.
Ma mère était assise sur un tabouret; elle tenait sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux avec des morceaux de pain qu'elle mangeait ensuite avidement et , malgré son geste rapide pour dissimuler la poêle sous la serviette, je sus soudain, dans un éclair, toute la vérité sur les motifs réels de son régime végétarien.
Je demeurai là un moment, immobile, pétrifié, regardant avec horreur la poêle mal cachée sous la serviette et le sourire inquiet, coupable, de ma mère, puis j'éclatai en sanglots et m'enfuis."
Ce récit m'avait fasciné !
Elle
terminait sa leçon en nous disant que par la suite la mère et l'enfant avaient
partagé le bifteck en deux parts égales. Je n'ai su que des décennies plus
tard, qu'il s'agissait d'un extrait d'un livre de Romain Gary, "La
promesse de l'aube". Lorsque je me suis trouvé face à ces lignes, ce fut une véritable petite madeleine de Proust, me projetant dans cette classe de l'école primaire du centre ville de Reims.
Dans ce livre remarquable, l'auteur y raconte sa
mère qui était un personnage fantasque, une sorte de "Mère Courage",
qui ne vivait que pour son fils qu'elle élevait seule. Elle l'admirait,
l'adorait et faisait tout pour lui car elle était persuadée qu'il avait un trait de
génie, sans trop savoir encore dans quelle domaine il se distinguerait;
mais elle était sûre d'une chose, il serait quelqu'un d'important, adulé par
les femmes et reconnu par ses contemporains. Quelle charge lourde à porter pour
un enfant qui voulait que sa mère soit fière de lui ! Cela lui fit écrire ses
lignes-ci, qui explique le titre de son livre :
"... Ce
fut seulement aux abords de la quarantaine que je commençais à comprendre. Il
n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. ça vous donne de
mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça arrive
ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère,
on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse
qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin
de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et
vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient
toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus,
jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou
et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous
êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous
reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de
puits, il n'y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de
l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de la
documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des
comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu.
Je ne dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis
simplement qu'il faut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à
aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de
soif auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour moi, je me connais en
vrais diamants."
Nul doute
pour moi que cet auteur est l'un des très grands du XXème siècle ! Sa
langue est belle, riche, limpide et teintée d'humour par petites touches
délicates.
Les leçons de morale n'étaient
sans doute pas inutiles quand elles étaient illustrées avec talent et
pédagogie... puisque l'enfant que j'étais a conservé en lui ce récit de
Romain Gary.
Vous espérant de belles
lectures,
Bien courtoisement
Bien courtoisement
JC Togrège
21/11/2011
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