vendredi 27 octobre 2023

Livre /// TROIS ROMANS DE SORJ CHALANDON ///

 TROIS ROMANS DE SORJ CHALANDON

Un passage de Sorj Chalandon dans une émission de "La Grande Librairie" m'avait laissé pensé que cet auteur devait écrire des choses profondes et de bonne tenue. J'avait noté "à lire !"

C'est chose faite avec trois romans dévorés en peu de temps, mais il faut dire que le vilain virus m'a forcé à rester alité quelques jours. 

Le premier m'a totalement ébloui ! 

Il s'agit de "Profession du père", paru en 2015, dans lequel Emile, 12 ans, raconte son père, à la fois fantasque, bonimenteur, affabulateur et mythomane.

Il raconte à son fils ses aventures toutes plus folles les unes que les autres où il se met en vedette, en héros. Le fils n'en revient pas quand il lui annonce qu'il est un "agent secret".

Et puis voilà que ce père demande à Emile de l'aider à assassiner le Général de Gaulle...Voilà pour le côté comédie du roman.

Mais il y en a un autre beaucoup plus dramatique car ce père est un véritable tyran domestique qui est impulsif et violent. Il inflige des corrections et punitions à Emile qui révoltent.


Quant à la mère, elle est totalement effacée, soumise et effrayée aussi. Sa réponse sera toujours "Tu connais ton père !". Cette violence s'exerce en huis clos car cette famille ne reçoit jamais personne et vit recluse sur elle-même...


Total hasard, le deuxième que j'ai lu parle également du père de l'auteur, car  c'est bien de l'histoire de sa famille dont il s'agit dans : 
"Enfant de salaud".

Dans "Profession du père", l'enfant était le fils d'un agent secret, ici il est un "enfant de salaud". C'est ce que lui annonça son grand-père.

Eh oui ce père mythomane n'avait pas choisi le bon côté et avait même porté l'uniforme allemande. Sorj Chalandon va mener son enquête en parallèle du procès Barbie auquel il assiste en tant que journaliste accrédité.
 
Comment faire avouer la vérité à une personne qui travestit toujours tout et qui ment même devant des preuves irréfutables ?

Ce livre est bouleversant, n'ayons pas peur des mots.


Le début du récit commence par l'histoire de la déportation des enfants d'Yseut et l'on sait alors que ce n'est que le début des ignominies dont nous parlera l'auteur.

Comme cela a dû être difficile de se construire avec un tel personnage comme père !


Je terminerai par "Une joie féroce" publiée en 2019 pour lequel je n'ai pas eu le même enthousiasme.

Ici l'auteur se glisse dans la peau de Jeanne qui vient d'apprendre qu'elle a un cancer du sein. Ce thème de la peur de la maladie, la solitude (son mari est un égocentrique duquel elle n'aura aucun soutien) de ses conséquences sur sa vie, tout cela est très bien abordé et donne des pages d'une grande sensibilité.  

Jeanne va rencontrer Brigitte, également malade, avec qui elle va se lier d'amitié, puis Mélody et Assia. Et à partir de ce moment, Jeanne va changer de vie, cesser d'être cette femme trop gentille, trop bien élevée. 

La seconde partie glisse dans la préparation et la réalisation d'un braquage qui m'a moins intéressé.


Si vous n'avez pas encore lu Sorj Chalandon, allez-y !

Bonne lecture

J-C Togrège
27/10/2023

mercredi 25 octobre 2023

On m'a viré comme un malpropre de J-C Togrège

 

On m’a viré comme un malpropre

de J-C Togrège


Illustration de Jean-Jacques Dumont

Mon projet d’écrire un livre sur la vie d’autrefois dans mon village m’avait amené à rencontrer Maurice, un Monsieur charmant et malicieux de 90 ans. Bien que malade, il demeurait toujours chez lui et avait conservé tout son humour et sa facilité à raconter des histoires et anecdotes. Doté d’une mémoire prodigieuse, l’écouter était pour moi une mine formidable d’informations, ce à quoi s’ajoutait son sens de la formule qui me faisait lui dire : « Ah celle-là il faut que je la note, elle sera dans mon livre ! », ce dont il paraissait bien content.

Et puis il en vint à parler de sa vie professionnelle et à ce moment son visage devint grave et sa voix changea quand il aborda son licenciement survenu en 1988 alors qu’il n’avait que 56 ans et 27 ans d’ancienneté dans la ferme.

34 ans après, la blessure demeurait intacte, la colère et l’incompréhension refaisaient surface dans les souvenirs qu’il me livrait.

« Je faisais mon travail comme il faut. Quant il m’a annoncé cela, il m’a dit : Maurice, j’ai quelque chose à te dire.

Le lundi matin, je ne venais jamais en bleu de travail, j’étais un peu mieux mis car bien souvent j’avais des déplacements à faire à Reims, comme aller y chercher des pièces qu’on avait commandées et qui étaient arrivées. Je prenais mon bleu dans mon sac et s’il n’y avait rien, je le mettais.

Il m’a dit : Ne te déshabille pas, j’ai quelque chose à te dire.

Je ne me faisais pas de bile. 


 - Maurice, je suis obligé de te licencier
Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
- Rien, au contraire.
- Et tu me vires quand même ?
- Oui !

« On m’a viré comme un malpropre ! Ça fait mal ! J’en ai passé des nuits blanches. Tu te remémores tout ce que tu as fait. En plus, j’avais la confiance entière de la maison, aussi bien du mari que de la femme. Ils s’en allaient, ils me laissaient les clefs de la maison.

-          Tiens, tu iras faire un tour pour le courrier, tu regarderas si tout est bien fermé, les lumières éteintes.

Je n’étais pas plus considéré qu’un autre, il m’a viré comme un pauvre mec. Ça a fait scandale dans le village, les gens étaient étonnés, ils n’en revenaient pas, ils disaient que c’était pas possible !

Tu te croyais bien coté, tu en faisais de plus en plus. Il m’est arrivé de rester à la moisson jusqu’à 3 heures du matin pour que le lendemain tout soit bien net. Ça on ne s’en rappelle plus ! Je mangeais même sur le tas, ma femme m’amenait le casse-croûte pour que je ne sois pas obligé d’arrêter les machines. Après quand tu repenses à tout cela, tu te dis : ils m’ont pris pour un bagnard !

Il est arrivé qu’il m’appelle le dimanche à 10h du matin : Maurice, il faut que je prenne l’avion, il faut que j’aille à Bruxelles Alors j’emmenais Monsieur prendre son avion. Il ne s’en est pas rappelé de tout ça ! »

« C’est moral, tu te sens coupable Bon qu’est-ce que j’ai fait ? Tu te remémores tous les travaux que tu as menés. C’est impensable ce qui peut te tourner dans la tête. J’en ai passé des nuits blanches, et puis c’est l’ambiance familiale qui en prend un coup. En plus mon épouse était tombée malade dans ce moment-là. Et le salaud, il me vire.

Je lui avais dit : tu sais que Cécile est malade ?

Cela ne l’a pas arrangé, deux ans après, elle était morte »

Ce n’est que plus tard que Maurice apprit la raison de son licenciement :

« Avant ces gens-là, ils faisaient leur comptabilité un peu tout seul. Le patron, il n’était contrôlé par personne. La chambre d’agriculture a créé un centre de gestion de contrôle qui récupérait les comptabilités de toutes les fermes et il leur disait 

- Nous avons étudié votre comptabilité, vous avez une masse salariale trop grosse, vous avez un ouvrier qui vous coûte trop cher. 

 Et je me suis retrouvé là-dedans, car comme j’étais le meilleur salaire de la boite, c’était moi le 1er viré.

Plus de trente ans après, Maurice m’évoqua le traumatisme qu’avait été le fait d’avoir été licencié si brutalement. Le plus dur, ce ne fut pas l’aspect financier car après une période de chômage il retrouva du travail, mais ce fut d’avoir été jeté sans considération.

L’absence de considération, la sensation d’injustice, voilà ce qui lui a fait le plus de mal !

Bien sûr perdre son emploi est toujours douloureux mais quand c’est dû à une faillite ou à une nécessité de survie de l’entreprise, cela se conçoit et se « digère » mieux.

Là où cela laisse des traces plus profondes, c’est lorsque le licenciement intervient uniquement pour des raisons d’augmentation de la rentabilité.

Comme me l’a dit si bien Maurice en conclusion de cet épisode de sa vie : « Le fric est au-dessus de tout, l’humanité ils ne connaissent pas ! »

Ce témoignage est comme un écho du thème de mon livre « La Mutuelle a un plan » dans lequel je parle d'un plan de restructuration suivi de licenciements. D’ailleurs s’il doit être réédité un jour, j’y ajouterai ce témoignage.


recueil au prix de 14,50 euros en vente par correspondance

Pour tout renseignement : jctogrege@gmail.com

J-C Togrège
19/10/2023
(d'après interview du 3 octobre 2022)

samedi 21 octobre 2023

RETOUR SUR MES LECTURES ESTIVALES - 2 -

RETOUR SUR MES LECTURES ESTIVALES - 2

Voici le second volet de mes lectures estivales dans des styles différents de la première chronique.


Je commence par un livre écrit par Toshikazu Kawaguci, dramaturge japonais : "Tant que le café est encore chaud".

Une belle surprise pour ce livre acheté au hasard sur la bonne foi de sa quatrième de couverture. C'est une histoire de traversée du temps mais traitée d'une façon très nouvelle et originale. 

Cela se passe dans un petit café de Tokyo, où il est possible de retourner dans le passé mais avec des règles très précises. Cette incursion ne permettra jamais de changer le présent et ne pourra durer que tant que le café sera encore chaud. Gare à qui oublie cette dernière consigne, il pourrait rester bloqué loin de son époque.

Quatre personnages très différents vont faire cette expérience afin de pouvoir dire à un proche ce qu'elles n'ont pas dit ou pas osé dire, par peur, pudeur ou bêtise, nous rappelant ainsi l'importance du moment présent.


Les personnages sont attachants dans leur quête ultime de corriger un non dit. Tout cela est joliment raconté, nous sommes davantage dans le merveilleux que dans le fantastique.



D'une toute autre tournure, j'ai lu avec consternation l'essai de Victor Castanet "Les fossoyeurs" qui a eu un retentissement considérable sur sur le sujet de la maltraitance dans certaines maisons de retraite.

Un conseil toutefois, ne lisez pas ce livre le soir, vous risqueriez de faire des cauchemars.

Ce livre démontre ce à quoi mènent les dérives d'un libéralisme économique tourné exclusivement vers le profit sans considération pour l'humain. On en arrive à des aberrations telles que le rationnement de couches et une gestion catastrophique du personnel !

Ne nous leurrons pas ! Ce n'est pas le seul domaine où des directions générales éloignées de la base gèrent avec des tableaux Excel leurs entreprises, toujours avec le souci premier (voire exclusif) de la rentabilité et de la productivité. 

Ce qui est insupportable ici c'est de traiter aussi mal des personnes vulnérables que notre société devrait protéger. 

C'est bien documenté et accablant !

Autre très bon roman, celui de Karine Tuil "L'insouciance" où l'on retrouve la puissance narrative qui la caractérise.

Un pavé dense qui sait raconter des récits et y mêler une réflexion sur nombre de thèmes de notre époque : la religion, le pouvoir, le communautarisme, la violence dans les rapports sociaux et la violence de la guerre, sans oublier une histoire d'amour qui bouleverse deux existences.

Nous avons un puissant patron que l'on va ramener à ses origines juives, un soldat revenu d'Afghanistan avec des troubles post traumatiques, un jeune ambitieux issu d'une cité et devenu conseiller à l'Elysée (caution à la diversité ?), une journaliste embourbée dans un riche mariage.


L'été ce fut aussi l'occasion de relire certains romans (je devrais plutôt dire "contes") d'Amélie Nothomb qui maîtrise comme personne l'art de la chute.

Dans "Robert des noms propres", nous suivons l'histoire de Plectrude (les prénoms de ses personnages sont toujours savoureux d'originalité) ses déboires à l'école et son don pour la danse qui l'amènera à des extrémités dommageables. 

Et toujours une maîtrise du langage et un ton bien à elle teinté d'humour.


Bonnes lectures plurielles !

J-C Togrège
21/10/2023