dimanche 26 février 2017

LIVRE ET CINEMA /// CLAIR DE FEMME

 
CLAIR DE FEMME
Un livre et un film
 

Dans l'émission "La Grande Librairie" du 23 février 2017, Costa Gavras expliqua que nombre de ses films sont des adaptations de livres. Il ajouta que le seul qu'il transcrivit à l'écran sans modifications fut "Clair de Femme" de Romain Gary tant les dialogues lui avaient paru excellents et somme toute cinématographiques.

Clair de Femme n'est pas l'un des romans les plus connus de Romain Gary, et c'est regrettable.

Voici ci-dessous la chronique que j'avais faite en 2011.

JC Togrège
26/02/2017



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 Je viens de finir "Clair de Femme", très beau roman aux dialogues superbement ciselés entre deux personnages principaux, des "cabossés" de la vie, qui vivent chacun un drame (la perte d'un être cher) et tentent, le temps d'une rencontre, de continuer à vivre.

Dès que j'ai commencé cette lecture, le souvenir d'un film vu plusieurs décennies plus tôt a surgi de ma mémoire, alors que je pensais l'avoir complètement oublié. Il s'agit d'un film de Costa Gavras, qui porte le même nom "Clair de femme" et qui en est l'adaptation. Les acteurs en sont Romy Schneider et Yves Montand.

 
 Quelques extraits du roman :

  « Aimer est la seule richesse qui croît avec la prodigalité. Plus on donne et plus il vous reste"

J'ai également aimé les portraits de personnages :

  "Elle portait ses cheveux blancs très longs, jusqu'aux épaules, et je ne savais si c'était parce qu'elle pensait jeune ou parce qu'elle se souvenait déjà d'elle même. Les pommettes étaient hautes, saillantes, et les yeux noirs semblaient ainsi étrangement éloignés, coulés en profondeur, enfoncés dans leur royaume d'ombre; les sourcils très droits portaient au milieu une ride profonde comme un oiseau porte son corps"

 " Le nez était conséquent, méphistophélique, couvrant de superbes narines. Des yeux d'olives noires où se lisait  je ne sais quelle vieillesse de Casanova, et, par contraste avec l'anxiété du regard, le nez semblait se porter en avant comme pour chercher des secours..."

 
N'est-ce pas beau ? Il ne faut pas oublier non plus l'humour de Gary qui est présent dans tous ses romans, un humour par petites touches, au détour d’une phrase, pas du tout souligné, ce qui le rend d'autant plus intéressant. Cet humour sera amplifié et développé dans un autre beau roman "Gros-Câlin" signé sous le pseudonyme d'Emile Ajar.

  Gros Câlin, voilà une belle et grande surprise : un livre étonnant principalement par la narration. Il s'agit d'un homme qui pour tromper sa solitude adopte un python. C'est une fable sur la solitude qui règne dans nos grandes villes, avec un style hors du commun. Le personnage principal s'exprime dans un langage très curieux ; il ne s'exprime jamais directement mais par circonvolution, de la même manière que se meut le serpent. C'est un exercice brillant sur le langage et une manière nouvelle d'aborder des thèmes importants (la solitude, la difficulté de communiquer, la quête de l'amour, de l'affection...) 


(....)

  Sacré bonhomme que ce Gary !

Vous espérant de belles lectures,

JC Togrège
05/03/2011

samedi 25 février 2017

LIVRE ET MUSIQUE /// LE MARIAGE DE FIGARO


LE MARIAGE DE FIGARO


J'aime quand un art nous conduit vers un autre art, tel un prolongement émotionnel qui se renouvelle sous une autre forme.

Ainsi en fut-il avec cette répétition générale du "Mariage de Figaro" de Mozart à laquelle nous assistâmes à l'opéra de Reims et qui fut un ravissement. Avouons-le, nous ne connaissions que peu cette œuvre tant pour la musique que le livret de Lorenzo da Ponte inspiré de la pièce de Beaumarchais de 1778. Tous tombâmes sous le charme de la partition et des interprètes

Cela m'a alors conduit à lire Beaumarchais et à approfondir ainsi la psychologie des personnages et les thèmes abordés.

Le mariage de Figaro, c'est la lutte policée entre Figaro qui est un valet rusé et son maître qui convoite sa fiancée. Bien qu'ayant aboli sur ses terres le droit du seigneur (droit de "cuissage"), ce grand comte aimerait bien le rétablir. Dans cette lutte de classes (valet / seigneur), c'est Figaro qui sortira vainqueur de cet abus de droits.

C'est aussi, surtout dans la pièce de théâtre, une critique de la justice, ramenée à une parodie au service de la Noblesse.

Et puis, nous y voyons aussi la condition des femmes sous le joug de la volonté des hommes. Par delà cette situation, deux femmes (Suzanne et la comtesse), en unissant leurs forces, auront le dernier mot.

Ce n'est pas pour rien que la pièce de Beaumarchais eut des ennuis avec la Royauté. Sa première représentation publique officielle fut d'ailleurs interdite et il fallut plusieurs années pour que cette interdiction soit levée.

La magie de la musique de Mozart associée à une histoire pleine de roueries avec maints rebondissements fait que depuis quinze jours je réécoute l'opéra en CD et l'ai revu sur internet (merci l'ami Youtube !).

Alors, rien que pour le plaisir, voici l'air de la comtesse

https://www.youtube.com/watch?v=fpmlZQEfnxg

https://www.youtube.com/watch?v=NToJ2phG7Qk

Musicalement vôtre

JC Togrège
25/02/2017

mardi 21 février 2017

LIVRE /// CHANSON DOUCE DE LEILA SLIMANI


CHANSON DOUCE
DE LEILA SLIMANI
 
Prix Goncourt 2016



Une fois commencé, ce livre nous happe ! Impossible de le lâcher tant le récit est mené avec talent, tant l'on sent monter la tension, tant le malaise s'installe inexorablement.

Et pourtant, dès les premières pages, l'on sait comment l'histoire se terminera. La nounou "modèle" a assassiné les deux enfants qu'elle avait en garde et c'est la jeune mère qui découvre cette tragédie en rentrant chez elle.

Les premières lignes sont lapidaires : "Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu'il n'avait pas souffert."

Malgré cela, ce livre est un vrai suspens. Alors que les parents accaparés par leur carrière professionnelle avaient cru trouver la perle rare, l'on va voir progressivement la situation se détériorer par des petites touches jusqu'à déboucher vers la folie meurtrière.

Certes, l'on a déjà connu des films ou des romans dans lesquels une tierce personne s'installe dans une famille pour la détruire ou se l'accaparer, c'est un sujet maintes fois décliné, mais là c'est abordé d'une façon très originale avec un style différent et percutant. Et puis c'est introduit dans une dimension sociale, le rapport dominant-dominé, la valeur sociale mal reconnue de celles qui élèvent les enfants.

Alors d'un côté, nous avons ces parents bien contents d'avoir une nourrice qui ne regarde pas à ses heures, qui s'occupe de tout, va au devant de leurs demandes et puis de l'autre une femme endettée, sans véritable "chez soi" et dont la vie personnelle est vide, hors cette fonction de garde d'enfants qu'elle peut perdre du jour au lendemain, une fois qu'elle aura cessé de plaire ou d'être utile.

C'est un rapport "marchand" avant tout.

D'ailleurs, le jeune couple ne sait rien de la vie de Louise une fois qu'elle a fini son travail et cela ne l'intéresse pas.

Ce n'est pas pour rien si Leïla Slimani a mis en exergue cette citation de Dostoïevski  tiré de Crime et châtiment : Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n'a plus où aller ? La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l'esprit. "Car il faut que tout homme puisse aller quelque part."

Le vide de la vie de Louise est déterminant. Elle n'a nulle part où aller !

Les personnages, enfants et adultes, sont attachants, leur sort nous intéresse. Le style fluide et acéré n'y est pas pour rien et fait en sorte que nous sortions de ce récit glacé d'effroi.

Une mauvaise histoire de "nounou", ça peut arriver à n'importe qui  ! Connaissons-nous vraiment les personnes à qui nous confions nos enfants ? Alors tomber sur une désaxée, une folle, une perverse, nul n'est à l'abri, et c'est cela qui nous rend ce roman si proche.

Extrait :

"Les jours d'abattement succèdent à l'euphorie. Le monde paraît se rétrécir, se rétracter, peser sur son corps d'un poids écrasant. Paul et Myriam ferment sur elle des portes qu'elle voudrait défoncer. Elle n'a qu'une envie : faire monde avec eux, trouver sa place, s'y loger, creuser une niche, un terrier, un coin chaud. Elle se sent prête parfois à revendiquer sa portion de terre puis l'élan retombe, le chagrin la saisit et elle a honte même d'avoir cru à quelque chose."

Bonne lecture

JC Togrège
21/02/2017


jeudi 16 février 2017

LECTURE /// ENTRE CIEL ET TERRE DE JON KALMAN STEFANSSON

ENTRE CIEL ET TERRE
DE JON KALMAN STEFANSSON
 
- Un auteur islandais qui ne laisse pas indifférent -
 

Une semaine faite de découvertes, car après le choc cinématographique de "La La Land", autre surprise de qualité avec cet auteur islandais contemporain: Jon Kalman Stefanson
 
Et autre hasard, car le jour de la Saint Valentin, j'ai lu ces phrases tirées de ce livre :
 
" Bàrour sortait toujours à huit heures pour regarder la lune au moment où sa bien aimée, debout devant la ferme, faisait de même, il y avait entre eux des montagnes et des immensités, mais leurs yeux se rencontraient sur l'astre nocturne, exactement comme ceux des amants le font depuis le début des temps, voilà pourquoi la lune a été placée dans le ciel"
 
 
 
Des extraits de ce type, le livre en foisonne !
 
Autant vous dire que j'en ai mis des petites croix au crayon qu'il me faudra effacer quand je rendrai ce livre à sa propriétaire...
 
Le récit se passe au XIXème siècle, en Islande, dans un village pauvre. La vie y est rude et dangereuse pour les pêcheurs, nombre de marins périssent en mer. Bàrour et celui qui est appelé " le Gamin" (jeune garçon de vingt ans) sont unis, au delà de leur travail sur le bateau de pêche, par leur amour de la lecture.
 
Ce livre nous touche par la force de son écriture teintée de poésie et aussi par ce qu'il nous dit de la difficulté de l'existence de ces pêcheurs, par sa description de ce pays que l'on connait peu, mais aussi parce qu'il nous parle de la vie, de la mort, de l'amitié, de la loyauté, de la lecture, de la difficulté de vivre, du sentiment d'être différent et pas à sa place.
 
Un livre différent avec une approche du récit atypique, un livre qui nous interpelle...
 
Extrait :
 
" Certaines poèmes nous conduisent en des lieux que nuls mots n'atteignent, nulle pensée, ils vous guident jusqu'à l'essence même, la vie s'immobilise l'espace d'un instant et devient belle, limpide de regrets ou de bonheur. Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l'oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s'approche de vous : touché ! dit-il et vous voilà mort. Celui qui meurt se transforme immédiatement en passé. Peu importe, combien sa volonté de vivre était forte et combien l'existence était impensable sans lui : touché ! dit la mort, alors la vie s'évanouit en une fraction de seconde et la personne se transforme en passé. Tout ce qui lui était attaché devient un souvenir que vous luttez pour conserver et c'est une trahison que d'oublier. Oublier la manière dont elle buvait son café. La manière dont elle riait. Cette façon qu'elle avait de lever les yeux. Et pourtant, pourtant, vous oubliez. C'est la vie qui l'exige. Vous oubliez lentement, mais sûrement, et la douleur peut être telle qu'elle vous transperce le cœur."

 
Bonne et belle lecture
 
JC Togrège
16/02/2017

CINE /// LA LA LAND

LA LA LAND
DE DAMIEN CHAZELLE
 
- Une merveille -


Damien Chazelle nous avait déjà éblouis avec Whiplash (histoire d'un jeune musicien pris de passion pour la batterie) et il renouvelle avec ce que je n' hésite pas à qualifier de pure merveille.

Nous voilà plongés dans une comédie musicale du style de la grande période hollywoodienne à laquelle il apporte une sacrée touche de modernité et de renouveau.

Il y a dans ce film de la grâce, de la danse, des chansons, du rythme, de très belles images, une histoire d'amour romanesque et pas mièvre, le tout sans un temps mort. Même la fin nous surprend et nous fait chavirer.

 Et puis, n'oublions pas la place du jazz avec une BOF d'une grande qualité. C'est d'ailleurs au son de celle-ci que je tape ce texte, restant ainsi dans l'enthousiasme et le climat musical de la séance.

https://www.youtube.com/watch?v=CWnYIb2lqpo

Un film qui m'a fait vibrer et m'émouvoir, un film qui m'a surpris tant le spectacle est complet (visuel, musical, scénario) le tout servi par deux acteurs charismatiques formant un couple touchant : Ryan Gosling et Emma Stone.

Sans dévoiler trop l'histoire, il s'agit de deux jeunes gens qui ont chacun un rêve, pour Mia celui d'être actrice et pour Sébastien celui d'ouvrir un club de jazz. Ils tomberont amoureux l'un de l'autre, se soutiendront.

Ce film, outre sa partie spectacle (il est difficile de ne pas battre la mesure du pied ou de la main)  aborde aussi des thèmes tels que celui de l'artiste prêt à tous les sacrifices pour son art, comment une décision prise plutôt qu'une autre infléchit notre vie de façon forte.

Quel bonheur quand le cinéma nous offre un moment magique et nouveau de ce niveau !


Cinéphilement vôtre

JC Togrège
16/02/2017


PS1 : Ma chronique est enthousiaste, ah oui, mais ça fait tellement du bien parfois.

PS 2 : 27/12/2017 : Nous venons de revoir ce film en DVD. Quelle merveille ! Comme nous connaissions l'histoire, cela nous a permis de voir dans les chorégraphies des détails qui nous avaient échappé. Un film à revoir et revoir sans modération !

vendredi 10 février 2017

MUSIQUE /// BARRIO POPULO - ROCK ET POESIE -



BARRIO POPULO - CRIS D'ECRITS -
ROCK ET POESIE-



Tant de jeunes artistes français nous assènent  si souvent cette demi-vérité que la langue anglaise convient mieux au rock, qu'on finirait presque par les croire. Disons, les p'tits gars, qu'il faut davantage se creuser la tête, mais sachez-le, le français est une langue qui sonne, à qui sait la faire sonner.

Et si vous ne le croyez pas, écoutez-donc Barrio Populo, jeune groupe rock qui chante en français avec une pêche incroyable et qui fait vibrer les mots.

Avec leur nouveau spectacle "Cris d'écrits", ils reprennent en rock les poètes. Ils s'approprient leurs textes et chansons, sans les dénaturer tout en les interprétant différemment, en leur donnant un autre souffle. C'est brillant !

Au programme, que de grands noms qui ont su magnifier notre langue et si bien dire le monde et la vie  : Rimbaud, Léo Ferré, Paul Fort, Baudelaire, Prévert, Antonin Artaud, Brassens, Moustaki, Apollinaire, et je dois en oublier.

Avec Barrio Populo, les mots de tous ces poètes reprennent le haut du pavé servi par un rock puissant ne les couvrant pas pour autant. Ces mots qui sont là pour nous toucher, nous émouvoir, nous faire voir l'essentiel, provoquer notre révolte. Comme le clame le chanteur, il faut nous réapproprier tous ces mots pour retrouver notre liberté.  Avec les poètes, l'on est à cent lieues de la bien-pensance, et ça fait du bien !

Barrio Populo, c'est un groupe de huit  très bons musiciens, dont un trompettiste et un tromboniste, qui font du rock de qualité.

C'est un chanteur dynamique et virevoltant qui sait interpréter, ce qu'il nous prouvera en chantant "le mal de vivre" de Barbara. Enfin un artiste qui sait chanter Barbara, et là aussi ça fait du bien.

Les concerts de Barrio Populo, ça déménage et toujours avec du sens ! C'est extra !

Musicalement vôtre

JC Togrège
11/02/2017


jeudi 9 février 2017

LIVRE /// L'AMIE PRODIGIEUSE DE ELENA FERRANTE

L'AMIE PRODIGIEUSE
Enfance - Adolescence

ELENA FERRANTE


Merci à Daniel Pennac de m'avoir donné envie de lire Elena Ferrante ! Il en a parlé avec tant d'enthousiasme que je me suis fié à son avis.

Grand bien m'a pris car cette histoire d'amitié entre deux gamines (Elena et Lila) vivant dans un quartier pauvre de Naples à la fin des années 50 est passionnante.

Lila, toute petite, hyper douée à l'école fascine sa camarade Elena qui est davantage réservée. Entre elles deux, l'amitié va naître et s'accompagner d'une émulation dans tous les domaines, en commençant par le scolaire.

Lila, révoltée, est toujours en avance sur sa camarade qui l'admire et de ce fait redouble d'effort pour être à son niveau. Lila va poursuivre ses études d'abord au collège et au lycée grâce au soutien d'une institutrice tandis qu'Elena va devoir travailler. Malgré leur orientation différente, elles vont toujours rester proches l'une de l'autre avec toujours cette émulation/ rivalité entre elles deux.

En plus de l'intérêt pour cette amitié sur du long terme, nous sommes plongés dans les quartiers populaires et pauvres de l'Italie de cette époque. Le boom économique n'a pas encore eu d'effets sur les familles pauvres qui se débattent comme elles peuvent pour joindre les deux bouts.

Mais c'est aussi le roman de l'accession à la connaissance, à l'émancipation.

C'est une époque complétement dominée par les hommes où les femmes doivent se faire une place.
Non seulement les pères sont autoritaires mais les grands-frères aussi. Pour Lila et Elena, c'est une lutte de tout instant pour être indépendantes, se faire entendre, évoluer. Malgré tout le poids des traditions est énorme.

Et puis, il y a les haines de famille, les bagarres, les premiers frimeurs en voiture, une Italie avec des classes sociales bien définies et délimitées.

Pour la petite histoire, Elena Ferrante est un nom d'emprunt derrière lequel l'auteur reste caché. L'on ne sait même pas si c'est un homme ou une femme.  Mais, ce qui importe, c'est la qualité de ses écrits !

Extrait :

"Ce fut comme franchir une frontière. Je me souviens d'une foule dense de promeneurs et d'une différence qui était humiliante. Je ne regardais pas les garçons mais les filles et les femmes : elles étaient totalement différentes de nous. Elles avaient l'air d'avoir respiré un autre air, d'avoir mangé des aliments différents, de s'être habillées sur une autre planète et d'avoir appris à marcher sur des souffles de vent. J'étais bouche bée. En plus, moi je me serais bien arrêtée pour contempler à mon aise leurs habits, leurs chaussures et le genre de lunettes qu'elles portaient quand elles en avaient, mais ces femmes-là passaient sans avoir l'air de me voir. Elles ne voyaient aucun de nous cinq. Nous étions invisibles. Ou sans intérêt. Pis, si par hasard leur regard tombait sur nous, elles se tournaient immédiatement dans une autre direction, comme irritées. Elles ne se regardaient qu'entre elles."

Bonne et belle lecture

LIVRE /// LA VENGEANCE DES MERES DE JIM FERGUSON


 
LA VENGEANCE DES MERES

JIM FERGUS


"La plupart des Américains ne connaissent rien à la vie des Indiens. Ils ne savent pas comment a été bâti leur pays, ils n'ont aucune idée du massacre des Indiens" - Jim Fergus -

C'est toujours avec un sentiment ambivalent que l'on s'empare de la suite d'une œuvre qui fut un choc, comme ce fut le cas pour  "Mille femme blanches".

En 1er lieu, c'est l'enthousiasme et le plaisir de replonger dans un univers, un ton et de retrouver certains personnages auxquels on s'était attaché, quoique la plupart de ceux du 1er roman avaient été exterminés lors d'une attaque du village indien par les soldats américains.  En filigrane, l'on espère surtout qu'on ne sera pas déçu, que la suite sera à la hauteur du premier.

La construction de ce roman est proche du précédent, en ce sens que l'histoire nous est contée à travers le procédé littéraire de carnets (journaux intimes). Là où cela diffère, c'est que cette fois-ci, les carnets ne sont pas le fait d'une seule personne mais de deux. Cela permet à Jim Fergus d'avoir des narratrices avec un style différent. Pour nous lecteurs, c'est intéressant car nous apprenons l'histoire par fragments et avec des regards différents.

L'une des narratrices est un personnage rescapé du livre précédent, à savoir Margaret Kelly. En effet les deux sœurs jumelles irlandaises à la langue bien pendue ont survécu, et c'est leur voix pleine de gouaille et de vengeance (leurs bébés sont morts de froid pendant leur fuite)  qu'on entend à travers ce qu'en rapporte Margaret. L'autre voix vient d'un nouveau personnage, Molly McGill, faisant partie d'un second groupe de femmes du programme FBI (femmes blanches pour les Indiens)

A travers ce deuxième récit, Jim Fergus appuie le trait sur ce qui lui tient à cœur, à savoir la culture indienne en symbiose avec la nature, le programme officieux des Blancs de liquider les populations autochtones pour leur prendre leurs terres et la condition féminine au XIXème siècle.

Car ce livre, en plus d'être un plaidoyer pour les Indiens, c'est aussi un livre avec de très beaux personnages féminins forts qui entrent en lutte et rejoignent la cause cheyenne, même si elle leur semble vouée à l'échec.

A travers l'union de différentes tribus, c'est la liberté et le mode de vie d'un peuple qui se joue. Même si beaucoup se savent perdus, ils ne peuvent pas vivre autrement, refusant d'être parqués dans des réserves à mourir d'ennui et de privation.
L'un des personnages l'exprime bien : " Ils continuent de sa battre parce qu'ils préfèrent mourir que renoncer à leur mode de vie."

Même si la surprise du premier roman ne joue plus, Jim Fergus nous a fait une bien belle suite très romanesque où le fond ne manque pas. Je n'ai pas parlé de la vengeance, mais c'est aussi un sujet de réflexion.

Et puis, je ne finirai pas sans saluer la très belle page de couverture représentant la photo d'une chef de guerre indienne prise en 1878. Son regard poignant est fier et teinté de tristesse.

Extrait :

Les Blancs, c'est comme une invasion de sauterelles, ils vont nous infester ce pays en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Vous savez pourquoi ils massacrent les bisons ?Vous le savez bien, hein ? Ils leur tirent dessus depuis les trains et ils les laissent pourrir sur place. On a donné l'ordre aux soldats de les abattre, chaque fois qu'ils en voient un, que ça soit pour les manger ou pas. May me l'avait dit, vous les avez vus faire depuis le train dans lequel vous êtes arrivées, l'année dernière. Ce n'est pas seulement pour rigoler qu'ils le font, même s'il y en a pas mal qui trouvent ça marrant. Ils appliquent les consignes du ministère de la Guerre. Achever ce qui reste des tribus, leur prendre leur gagne-pain, le bison, puisque c'est tout pour eux, qu'il suffit à tous leurs besoins. Qu'est-ce qui va leur rester ? Rien. Ils ne pourront plus se nourrir..."

Bonne et belle lecture

JC Togrège
09/02/2017





samedi 4 février 2017

LIVRE /// LE CAS MALAUSSENE DE PENNAC

LE CAS MALAUSSENE
DE DANIEL PENNAC
 
Tome 1 : Ils m'ont menti
 

Celui-ci n'aura pas eu le temps de prendre la poussière sur ma PAL (pile-à-lire). Le retour de Malaussene, presque 20 ans après, ça ne peut pas attendre, c'est comme ça !

C'est de la même nature que les accros à "Star Wars" qui se précipitent à la sortie du dernier film ou les fans d'un groupe de rock se ruant pour les billets d'un concert.

Benjamin Malaussène, c'est plus qu'un simple personnage ! Cela fait tant de décennies qu'on lit ses aventures qu'on a l'impression de le connaître.

Alors, quel plaisir de retrouver notre Benjamin et toute sa tribu, tous ses frères et sœurs qui ont largement grandi ! Il n'a plus besoin de leur raconter des histoires le soir, parfois la maison est même vide. Pour autant, ils sont bien restés fidèle à l'esprit de leur grand-frère...
Bien sûr, Julius le chien (3ème génération) est aussi de la partie.

Benjamin est toujours avec sa Julie, et travaille encore pour la reine Zabo, directrice des Editions du Talion. Son rôle a évolué. Même s'il peut reprendre parfois le tablier de "bouc émissaire", il est surtout là en protecteur des "Vévés" (auteurs de vérités vraies). Déballer sa vie et surtout celle des autres sans leur consentement peut déclencher des hostilités, Malaussène est là pour les protéger car ce sont des auteurs qui rapportent gros.

Sans en raconter trop, sachez que l'intrigue tourne autour d'un homme d'affaires véreux qui a touché à tout (liquidateur d'entreprises, foot, politique) et qui se fait enlever alors qu'il s'apprêtait à percevoir un parachute doré de 22 807 204 euros...

Une fois dans le récit, c'est reparti, difficile de s'arrêter, c'est dense et plein de rebondissements.

Le ton Pennac est là, facétieux, gouailleur et ironique, au service d'une histoire romanesque où il nous glisse aussi de temps à autre sa façon de voir le monde.

N'ayez pas d'inquiétude, vous ne serez pas perdus même si vous n'avez pas relu récemment les autres romans. A la fin du livre, il y a un petit répertoire de tous les personnages avec un petit résumé, qui nous remet très vite en mémoire ce qu'il faut.

La série Malaussène, c'est une ordonnance contre la morosité, un remède à la sinistrose, un bol d'air frais. Allez, regoûtez-y, ça fait du bien. Ne vous attendez pas à connaître la fin de l'énigme, il nous faudra attendre le tome 2.

Extraits :

"La perspective immense et silencieuse qui s'ouvre sur le massif entier a fait de moi, homme d'asphalte et de décibels, un amant du silence, du ciel et de la pierre. Julie et moi avons offert ce paysage aux petits pendant toute leur croissance. L'immensité convient à l'enfance que l'éternité habite encore. Passer des vacances à plus de mille mètres d'altitude et à quatre-vingts kilomètres de toute ville, c'est alimenter le songe, ouvrir la porte aux contes, parler avec le vent, écouter la nuit, prendre langue avec les bêtes, nommer les nuages, les étoiles, les fleurs, les herbes, les insectes et les arbres. C'est donner à l'ennui sa raison d'être et de durer.
- On s'ennuie bien ensemble, disait Mara, la plus explosive de la bande. Demain on finit la cabane aux bêtes d'accord?"


" Par les temps qui courent, moi, Benjamin Malaussène, je vous mets au défi, qui que vous soyez, où que vous vous cachiez, quel que soi votre degré d'indifférence aux choses de ce monde, d'ignorer la dernière nouvelle, celle qui vient de sortir, la bien bonne qui va faire causer la France et grésiller les résosocios..."


Bonne lecture et bonnes retrouvailles.

JC Togrège
04/02/2017


jeudi 2 février 2017

ENVIRONNEMENT /// LA NEIGE INDUSTRIELLE


LA NEIGE INDUSTRIELLE
 
NOUVELLE DECONVENUE DE NOTRE MONDE POLLUE


Alors que jusqu'à maintenant, la neige évoquait pour chacun la pureté, les joies de l'enfance, un plaisir de l'hiver, voilà que notre monde nous invente la "neige industrielle".

Nous sommes tellement habitués à voir progressivement notre environnement se dégrader qu'au final cette chute de neige industrielle survenue fin décembre 2016 dans des zones très localisées (centres urbains ou plaines ayant des industries à proximité) a laissé tout à chacun de glace...

Ce fut une information parmi tant d'autres, aussi déprimantes et peu ragoûtantes les unes que les autres, alors une de plus, nous n'avons même pas réagi. Par fatalisme peut-être ou désabusement ?

Dans un article de l'Express, il était indiqué : " C'est le résultat d'un épisode de forte pollution aux particules qui sévit depuis plusieurs jours dans une grande partie de la France. Cela se traduit par de légères chutes de neige autour de certaines zones industrielles."

En clair, au lieu de respirer les polluants se trouvant dans l'air, ils nous sont tombés sur la tête !

Il était également mentionné que ce n'était pas dangereux tout en précisant qu'il était préférable de ne pas l'avaler... Ce conseil n'est-il pas curieux si réellement il n'y avait pas à s'inquiéter du tout ?

A y réfléchir pourtant, n'est-ce pas la pureté de cette joie d'hiver qui est ainsi souillée ?

Ainsi, au lieu d'être un moment de joie pour les familles avec les batailles de boule de neige et autres amusements, l'arrivée de la neige pourrait devenir une inquiétude pour les parents. Bonne neige ou neige polluée ?

Fini le plaisir de tendre la langue pour y goûter aux flocons tombant du ciel, comme nous le fîmes tous quand nous étions petits ?

Entendrons nous dans les années à venir les parents inquiets dire ?

"Faites attention les enfants, surtout n'en avalez pas !"
"Allez rentrez à la maison, c'est plus prudent !"

De façon prémonitoire, Jean Ferrat chantait en 1962 "Restera t-il un chant d'oiseau ?"

En le paraphrasant, l'on peut ajouter "Restera t'il une parcelle de terre non polluée ?"

JC Togrège
01/02/2017