mercredi 24 mai 2017

LIVRE /// LA CONFUSION DES SENTIMENTS - STEFAN ZWEIG - un auteur autrichien majeur de la 1ère moitié du XXème siécle

LA CONFUSION DES SENTIMENTS
STEFAN ZWEIG


Toutes les fois que j'ouvre une œuvre de Stefan Zweig, je suis subjugué par la qualité de son écriture, très belle, délicate et précise ainsi que par l'analyse psychologique de ses personnages.

Avec "la confusion des sentiments", nous nous trouvons avec un jeune étudiant en totale admiration pour l'un de ses professeurs, cela allant jusqu'à la fascination, la vénération. Sans doute ce jeune homme, après avoir quitté la capitale où il n'avait pas travaillé mais glissé dans la débauche, avait-il besoin d'un repère, d'un mentor pour se remettre à étudier ?

Il va jusqu'à loger chez lui, devenir un familier du couple que ce professeur déjà âgé forme avec sa jeune épouse, à lui proposer de lui servir de secrétaire pour écrire son livre. Mais il ne comprend pas l'attitude que celui qu'il nomme "mon maître" a vis à vis de lui. Parfois, il croit être devenu son ami puis se trouve ensuite rabroué, blessé par une formule lapidaire ou un regard glacial. Et plus le temps passe, moins il comprend le comportement de celui qu'il admire de façon excessive et qu'il veut prendre en modèle.

Je n'irai pas au delà, si ce n'est pour dire la finesse avec laquelle Stefan Zweig aborda un sujet alors très peu abordé dans la littérature, ce qui explique le titre "la confusion des sentiments"

L'on pourra m'objecter que je ne lis que des traductions de l'allemand. Certes, mais celles d'Alzir Hella et Olivier Bournac, par leurs qualités, ont participé à la connaissance des romans et nouvelles de ce grand écrivain de la 1ère partie du XXème siècle.

Stefan Zweig sait dire les choses de manière élégante sans être maniéré, avec précision et sans longueur, il sait observer et sonder l'âme de ses personnages et nous l'exposer, tout cela dans un style d'une maîtrise absolue, toujours avec le mot qui sonne juste.

Alors, ne vous privez pas de la magnifique petite musique de cet écrivain qui possède aussi l'art d'écrire des nouvelles comme très peu.

Extraits :

"Je vibrais, je tremblais; je sentais mon sang couler plus chaud en moi, c'était comme une fièvre qui brusquement m'avait saisi; rien de cela ne m'était jamais arrivé précédemment et, pourtant, je n'avais fait qu'entendre un discours vibrant. Mais l'environnement de ce discours persistait sans doute encore en moi; si je répétais une ligne tout haut, je sentais que ma voix imitait inconsciemment la sienne, que les phrases bondissaient suivant le même rythme impétueux et que mes mains avaient envie, tout comme les siennes, de planer et s'envoler. Comme par un coup de magie, j'avais, en une heure de temps, renversé le mur qui jusqu'alors me séparait du monde de l'esprit et je me découvrais, moi, passionné par essence, une nouvelle passion qui m'est restée fidèle jusqu'à aujourd'hui : le désir de jouir de toutes les choses de la terre par le truchement de l'âme des mots"

Bonnes et belles lectures

JC Togrège
24/05/2017


jeudi 18 mai 2017

LIVRE /// LA VOLEUSE DE LIVRES - MARKUS ZUSAK - Les mots lui ont sauvé la vie. Un roman poignant !

LA VOLEUSE DE LIVRES
DE MARKUS ZUSAK


Ce roman est resté sur ma PAL un sacré moment car je voulais oublier le film (vu il y a maintenant plusieurs années) avant de me replonger dans l'histoire de Liesel, cette petite fille  voleuse de livres, qui survivra dans le monde difficile de la seconde guerre mondiale en partie grâce à eux.

"Elle s'accrochait désespérément aux mots qui lui avaient sauvé la vie."

Liesel ne sait pas lire quand elle rencontre Hans et Rosa,  sa famille d'accueil qui deviendra sa famille de cœur : d'un côté, Hans accordéoniste plein d'empathie pour autrui qui lui apprendra à lire et de l'autre Rosa qui cache mal son grand cœur derrière des jurons et des manières brutales. Elle apprendra à les connaître et à les aimer. Et puis, il y aura la complicité avec son voisin, Rudy, et une grande amitié avec Max, un jeune juif caché dans la cave.

Encore un livre sur la guerre, pourrait-on penser ? Il y en a tant eu déjà !

Oui mais celui-ci est différent dans son approche du récit, car la narratrice c'est la mort elle-même présentée sous un jour inhabituel. Ce n'est pas la "Faucheuse" impitoyable, mais simplement un personnage qui "fait son job" et recueille les âmes avec douceur. En cette période noire, elle a énormément de travail tant les hommes s'acharnent à se détruire. Elle est surprise par cet acharnement à tuer !

Et puis, nous voyons le quotidien du côté du peuple allemand plongé dans cette hystérie, où malgré les horreurs de l'époque, Liesel vivra de belles choses au travers de l'amitié et de l'amour. Ah je vous vois soupirer, ironisant que ce doit être "gnan gnan", mais pas du tout, c'est simplement poignant et profond à la fois. La narration et le style sont pour beaucoup dans cet équilibre, ce qui en fait un livre vivant et humaniste  qu'on a du mal à lâcher.

Le texte est émaillé de petites questions, définitions, remarques en caractères gras qui apportent un charme supplémentaire à la lecture.

Exemple :
"Une définition absente du dictionnaire
Ne pas s'en aller : un acte d'amour et de confiance, que les enfants savent souvent traduire."


Je dois reconnaître que les dernières pages sont particulièrement touchantes. Qui n'a jamais pleuré en lisant pourrait y succomber cette fois-ci !

Extrait:

"A cette époque-là, ils étaient nombreux à courir après moi, à crier mon nom, à me demander de les emporter. Et puis, il y en avait quelques-uns qui m'appelaient d'un air désinvolte et murmuraient d'une voix étranglée.
"Prends-moi", disaient-ils, et il était impossible de les arrêter. Ils avaient peur, bien sûr, mais pas de moi. Ils avaient peur de manquer leur coup et de se retrouver ensuite face à eux-mêmes, face au monde, face aux gens comme vous.

Je ne pouvais rien faire.
Ils étaient trop inventifs, trop astucieux, et lorsqu'ils s'y prenaient bien, quelle que fût la méthode choisie, je n'étais pas en position de refuser."

Bonne et belle lecture
18/05/2017

PS : Voici ce que j'avais écrit en 2014 après avoir vu le film :

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Amis du cinéma bonjour,

LA VOLEUSE DE LIVRES
DE BRIAN PERCIVAL
Avec Geoffrey Rush, Emily Watson, Sophie Nélisse

A quoi cela tient-il d’aller voir un film parfois ?

A une disponibilité (une semaine de congés), à une occasion (la St Valentin) à une affiche qui attire le regard et à un beau titre : La voleuse de livres

Je n’avais pas entendu parler de ce film, ni du roman dont il est l’adaptation, mais avais été attiré par le titre qui résonnait comme une invite par sa référence aux livres.

Quelques petits clics par ci par là pour avoir une idée un peu plus précise, et nous voilà dans ce qui restera toujours un lieu magique : une salle de cinéma !

Ne faites pas attention aux critiques de la presse qui ont plutôt dévalorisé cette œuvre car sans doute trop idéaliste par rapport aux valeurs défendues : la solidarité, l’amitié et l’importance des mots que l’on trouve dans les livres.

Une petite fille apeurée et ne sachant pas lire, Liesel, est adoptée par un couple d’Allemands pendant la seconde guerre mondiale. L’homme apprendra à lire à Liesel en lui offrant un abécédaire géant dans la cave de la maison, la femme dont la voix gronde pour ne pas montrer son grand cœur fera des miracles pour faire vivre sa famille dans cette période difficile pour qui n’est pas encarté au parti nazi.

Pour Liesel, outre sa découverte capitale des livres et des mots (la voleuse de livres, c’est elle, même si elle y préfère le terme d’emprunteuse) , il y aura aussi son amitié avec un jeune juif caché. Ces années vécues dans cette famille, ce sera pour elle une très belle leçon de vie et ce en dépit des malheurs qu’elle connaitra. Ces années la marqueront pour toute son existence.

J’aime les films qui prennent le temps d’installer un contexte historique, une situation, des personnages, loin de la précipitation du rythme de notre époque où tout doit aller vite, encore plus vite. Le film dure 2 h 15 et c’est très bien ainsi.

L’histoire est belle et nous fait vibrer. L’on pourrait penser qu’on a déjà vu des quantités de films sur cette guerre, sauf que là c’est vu du côté du peuple allemand, du côté des « petites gens » et que la narration en voix off est faite par un personnage très particulier qui est la Mort elle-même.

Ajoutons que tous les personnages sont magnifiquement interprétés et que la musique, fort belle, est de John Williams.

Cinéphilement vôtre
15/02/2014

 

vendredi 12 mai 2017

LIVRE /// L'OEUVRE - EMILE ZOLA /// un magnifique roman sur la passion de créer

L'OEUVRE
EMILE ZOLA



Relire un auteur admiré, c'est comme retrouver un ami que l'on n'a pas vu depuis longtemps, un ami auquel on pense et qu'on espère revoir un jour avec en filigrane la petite crainte aussi de n'être plus au diapason.

Je n'avais pas lu Zola depuis des années, voire des décennies mais n'avais pas oublié sa belle petite musique, la qualité de son style et la profondeur de ses romans. Je n'ai pas été déçu et ai replongé dans ce 14ème volume de la série des Rougon-Macquart.

Quelles retrouvailles magnifiques !

Claude Lantier, un soir de pluie, rencontre Christine, une jeune provinciale perdue dans ce Paris qu'elle ne connait pas. Un amour très fort naîtra avec notamment une période idyllique à la campagne, mais c'est sans compter sur la passion qui anime Claude et qui deviendra la grande rivale de Christine : la peinture !

Vivre avec un peintre maudit, très doué mais boudé par ses contemporains, s'apparentera à un calvaire que l'on voit progresser inéluctablement dans la vie du couple. Claude, tout entier à son œuvre, est trop exigeant, jamais content de son travail qu'il reprend sans cesse. Alors que ses esquisses, selon l'avis de ses amis artistes, sont très fortes, il gâche tout en s'acharnant à vouloir trouver la perfection.

Je n'irai pas plus loin dans le récit mais sachez que les pages de révolte de Christine, criant son amour pour regagner son homme face à son adversaire de toujours, sont poignantes et émouvantes. Elle hurlera sa haine pour cette peinture qui les sépare et les rend malheureux.

A travers ce roman, nous voilà projetés dans le Paris artistique de la fin du XIXème siècle avec un groupe d'amis passionnés par l'envie de créer soit par l'écriture, la sculpture  ou la peinture. Certains resteront des "purs" refusant la compromission tandis que d'autres lorgneront vers la réussite sociale et iront vers des concessions.

Ce livre, c'est celui du rapport du créateur avec son œuvre (la foi qui l'anime, la quête de l'idéal, l'impossibilité d'arrêter malgré la souffrance de l'échec), celui de l'évolution de l'amitié (certains réussissant et d'autres non !) mais c'est aussi une grande histoire d'amour tragique et intense.

Extraits :

"Et d'un élan, dans une crise de folle rage, il voulut se jeter sur sa toile, pour la crever du poing. Ses amis le retinrent. Voyons, était-ce enfantin, une colère pareille ! Il serait bien avancé ensuite quant il aurait abîmé son œuvre. Mais lui, tremblant encore, retombé à son silence, regardait le tableau sans répondre, d'un regard ardent et fixe, où brûlait l'affreux tourment de son impuissance. Rien de clair ni de vivant ne venait plus sous ses doigts, la gorge de la femme s'empâtait de tons lourds; cette chair adorée qu'il rêvait éclatante, il la salissait, il n'arrivait même pas à la mettre à son plan. Qu'avait-il donc dans le crâne, pour l'entendre ainsi craquer de son effort inutile ? Était-ce une lésion de ses yeux qui l'empêchait de voir juste ? Ses mains cessaient-elles d'être à lui, puisqu'elles refusaient de lui obéir ? Il s'affolait davantage, en s'irritant de cet inconnu héréditaire, qui parfois lui rendait la création si heureuse, et qui d'autres fois l'abêtissait de stérilité, au point qu'il oubliait les premiers éléments du dessin. Et sentir son être tourner dans une nausée de vertige, et rester là quand même avec la fureur de créer, lorsque tout fuit, tout coule autour de soi, l'orgueil du travail, la gloire rêvée, l'existence entière ?"

Alors relisons ce grand auteur, il a tant encore à nous dire aujourd'hui !

Bonne et belle lecture

JC Togrège
12/05/2017

PS 06/06/2017 :  Sur la recommandation d'une lectrice, j'ai lu la nouvelle d'Edgar Allan Poe "le portrait ovale", histoire d'un peintre qui prend sa femme pour modèle.

lundi 1 mai 2017

LIVRE /// CHARLY 9 DE JEAN TEULE /// La "gaffe" du muguet du 1er mai...entre autres


 



Dans ce roman, Jean Teulé raconte la  vie du roi Charles IX à partir du moment où il devint l’ordonnateur officiel de la Ste Barthélémy en août 1572. 

C’est Catherine de Médicis, sa mère, qui  imposa ce massacre à ce jeune et faible roi. Cela lui en fit perdre rapidement la raison, la culpabilité rongeant son esprit.

 Après d’autres personnages historiques  tels que le mari de la Montespan et Jean Villon, Jean Teulé s’est attaché ici à décrire la dérive de « Charly 9 », appellation irrévérencieuse qu'il affuble à ce piètre roi de France, dont on aurait oublié le nom sans ce massacre de Protestants.

L'on se rappelle moins l'épisode du muguet !





 Cherchant une façon de se faire aimer de son peuple, il lui offrit du muguet. Un certain nombre de ses sujets, en ce temps de disette, l'utilisa dans son alimentation, comme une sorte de salade, et en périt car la fleur est vénéneuse ! Cela ne fit qu'accroître la désaffection de la population pour son monarque.

C’est de nouveau un bonheur que la verve et le style truculent de cet écrivain qui mélange habilement les tournures de langage de l’époque et celles de notre quotidien. Les puristes tousseront peut-être un peu, mais qu'importe. Il nous plonge avec talent et humour dans une époque ancienne où nous y croisons également Ambroise Paré et Ronsard.

L'on peut saluer cet auteur qui a sa propre petite musique et qui aborde à chaque fois des sujets très différents, toujours avec  humour et recul. Il réussit à nous captiver et à nous plonger dans l'histoire de France d'une manière fort divertissante et instructive.

Extraits :

... Un autre soldat, passant devant la porte ouverte d'une pauvre maison, propose à une famille indigente attablée devant un triste bouillon :
- Voulez-vous du muguet ? C'est de la part de Notre Majesté qui ne boit que de l'eau où trempent des fleurs...
Assis sur un ban et dos à un misérable lit de feuilles de châtaignier, un père squelettique, qui portait la cuillère à sa bouche d'un air rien moins que soumis, râle après Charly 9.
- Pour une fois qu'il nous file à bouffer, celui-là !... Donnes-en une poignée, soldat, pour mettre dans la soupe.
Le père répartit également les clochettes et les feuilles de porte-bonheur dans chacune des écuelles de sa famille en calculant :

-Toujours ça de plus à becqueter ! ...
Puis ils se remettent à manger mais soudain suffoquent, tombent, les yeux révulsés. Ailleurs, c'est une mère qui fait boire à son tout-petit l'eau du gobelet où elle avait plongé la tige d'un brin (...) "


Bonne lecture

01/05/2017

PS : Merci à Chantal de m'avoir donné l'idée de republier cette chronique le 1er mai.