mardi 21 février 2017

LIVRE /// CHANSON DOUCE DE LEILA SLIMANI


CHANSON DOUCE
DE LEILA SLIMANI
 
Prix Goncourt 2016



Une fois commencé, ce livre nous happe ! Impossible de le lâcher tant le récit est mené avec talent, tant l'on sent monter la tension, tant le malaise s'installe inexorablement.

Et pourtant, dès les premières pages, l'on sait comment l'histoire se terminera. La nounou "modèle" a assassiné les deux enfants qu'elle avait en garde et c'est la jeune mère qui découvre cette tragédie en rentrant chez elle.

Les premières lignes sont lapidaires : "Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu'il n'avait pas souffert."

Malgré cela, ce livre est un vrai suspens. Alors que les parents accaparés par leur carrière professionnelle avaient cru trouver la perle rare, l'on va voir progressivement la situation se détériorer par des petites touches jusqu'à déboucher vers la folie meurtrière.

Certes, l'on a déjà connu des films ou des romans dans lesquels une tierce personne s'installe dans une famille pour la détruire ou se l'accaparer, c'est un sujet maintes fois décliné, mais là c'est abordé d'une façon très originale avec un style différent et percutant. Et puis c'est introduit dans une dimension sociale, le rapport dominant-dominé, la valeur sociale mal reconnue de celles qui élèvent les enfants.

Alors d'un côté, nous avons ces parents bien contents d'avoir une nourrice qui ne regarde pas à ses heures, qui s'occupe de tout, va au devant de leurs demandes et puis de l'autre une femme endettée, sans véritable "chez soi" et dont la vie personnelle est vide, hors cette fonction de garde d'enfants qu'elle peut perdre du jour au lendemain, une fois qu'elle aura cessé de plaire ou d'être utile.

C'est un rapport "marchand" avant tout.

D'ailleurs, le jeune couple ne sait rien de la vie de Louise une fois qu'elle a fini son travail et cela ne l'intéresse pas.

Ce n'est pas pour rien si Leïla Slimani a mis en exergue cette citation de Dostoïevski  tiré de Crime et châtiment : Comprenez-vous, Monsieur, comprenez-vous ce que cela signifie quand on n'a plus où aller ? La question que Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l'esprit. "Car il faut que tout homme puisse aller quelque part."

Le vide de la vie de Louise est déterminant. Elle n'a nulle part où aller !

Les personnages, enfants et adultes, sont attachants, leur sort nous intéresse. Le style fluide et acéré n'y est pas pour rien et fait en sorte que nous sortions de ce récit glacé d'effroi.

Une mauvaise histoire de "nounou", ça peut arriver à n'importe qui  ! Connaissons-nous vraiment les personnes à qui nous confions nos enfants ? Alors tomber sur une désaxée, une folle, une perverse, nul n'est à l'abri, et c'est cela qui nous rend ce roman si proche.

Extrait :

"Les jours d'abattement succèdent à l'euphorie. Le monde paraît se rétrécir, se rétracter, peser sur son corps d'un poids écrasant. Paul et Myriam ferment sur elle des portes qu'elle voudrait défoncer. Elle n'a qu'une envie : faire monde avec eux, trouver sa place, s'y loger, creuser une niche, un terrier, un coin chaud. Elle se sent prête parfois à revendiquer sa portion de terre puis l'élan retombe, le chagrin la saisit et elle a honte même d'avoir cru à quelque chose."

Bonne lecture

JC Togrège
21/02/2017


1 commentaire:

  1. Super chronique de JC. On a l'impression que toute l'histoire est racontée dans cette chronique, mais, dans le livre, l'histoire est posée dès la première page. Et pourtant, impossible de décrocher avant la dernière page (même dans un autocar vers Strasbourg ...). A recommander.

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