L'EQUATION AFRICAINE
YASMINA KHADRA
Retrouver le style d'un auteur qu'on apprécie, c'est comme rentrer chez soi après les vacances. L'on a aimé le dépaysement, la découverte d'autres lieux, néanmoins l'on est content de réintégrer son environnement, de retrouver ses marques.
Déconstruction de ma PAL oblige, c'est ce qui m'est arrivé avec grand plaisir en retrouvant l'écriture de Yasmina Khadra que d'aucuns critiquent et qualifient d'ampoulée.
Il est certain qu'il est à cent lieues de l'écriture minimaliste, resserrée tant en vogue en ce moment et qui triomphe dans des romans de 150 à 200 pages. Et d'ailleurs, rien n'empêche d'aimer les deux !
Chez cet auteur, le récit est émaillé de descriptions et de métaphores qui se heurtent à une lecture rapide. Pour qui aime les mots, c'est un bonheur car il y a du vocabulaire que l'on ne retrouve pas partout, le tout sans excès. J'avoue m'être tourné quelques fois vers le dictionnaire, ce que je vois comme une forme d'enrichissement.
Quant au sujet, c'est l'Afrique avec le décalage de vue d'un Occidental plongé dans un pays, une culture, des tourments qu'il ne connait pas, si ce n'est à travers des préjugés ou des a priori.
Kurt, le personnage principal, est un médecin en plein deuil qu'un ami emmène en mer vers les Comores pour lui changer les idées. Rien ne se passera comme prévu, car ils seront enlevés par des pirates pour être rançonnés. C'est le sujet des otages occidentaux que l'on connait malheureusement.
Ce qui est bien dans ce récit prenant, c'est l'absence de manichéisme. L'un des pirates, une brute très antipathique, nous apparaîtra subitement sous un angle différent quand on apprendra qu'il publia dans sa jeunesse un recueil de poésie. Qu'est ce qui fait qu'un individu puisse alors glisser vers la violence et les massacres ? Rien n'est si simple qu'il n'y paraît.
Il en est de même pour Kurt avec ses certitudes qui volent en éclat quand il se retrouve confronté à la dure réalité d'être un prisonnier maltraité, qui ne doit de rester en vie que par la valeur marchande qu'il représente.
Extraits :
"Devant nous, la file de rescapés se traîne comme elle peut, un balluchon sur la tête, un bébé sur le dos, me livrant en vrac la hideur d'un monde dont je ne mesurais guère l'infamie et auquel, à aucun moment de ma vie, je ne m'étais préparé. Un monde où les dieux sans miséricorde n'ont plus de peau aux doigts à force de s'en laver les mains. Un monde sisyphin livré à la lâcheté des hommes et aux ravages des épidémies, avec ses supplices, ses escalades et ses guet-apens, et ses contingents de morts vivants nomadisant à travers mille tourments, l'espoir crucifié sur le front et l'échine croulante sous le poids d'une malédiction qui ne décline ni ses codes ni son nom."
"Après le souper, nous remontons sur le pont. Un brouillard haillonneux tente d'emmitoufler le voilier, mais ses étreintes filandreuses s'effilochent sous le vent de la course et forment une sorte de voûte instable et spectrale au-dessus de nos têtes."
Bonnes et belles lectures estivales
JC Togrège
25/07/2018
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